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Initiative de Genève
Initiative de Genève : La charrue avant les boeufs

Nul ne souhaite voir échouer un projet qui se propose de mettre fin à l’horreur israélienne. On peut toutefois légitimement se demander si les tractations officieuses, qui ont abouti - après deux ans de négociations "secrètes " au document de paix finalisé à mi octobre sur les rives de la mer Morte sous la houlette de la Suisse, n’est pas une paix mort née.

19 octobre 2003 | - : Israël Union européenne Palestine


Yossi Beilin ancien ministre de la justice d’Israël, avec Abed Rabbo ancien attaché à l’information de l’Autorité palestinienne (alencontre.org)

Nous avons tout lieu de penser que l’Initiative de Genève, présentée par M. Yossi Beilin, chef de la délégation israélienne, comme " un tournant historique ", par M. Abed Rabbo, chef de la délégation palestinienne, comme "le début d’une nouvelle ère", baptisée avec dérision par des analystes éclairés de "cheese agreement", a manqué son rendez-vous avec l’histoire.

En quoi cette initiative – aux paramètres similaires à ceux de Clinton à Camp David - est-elle à même de réussir là où la même formule a déjà échoué ?

Les erreurs du passé et les désillusions d’Oslo devraient inciter les observateurs qui encensent cette initiative à la prudence et à se demander si cette initiative suisse ne se joue pas - comme toutes celles qui l’ont précédée - un peu trop facilement de la souffrance humaine ! Une souffrance, causée par l’immense injustice et les incessantes agressions militaires de l’occupant israélien. Une souffrance qui demande des solutions immédiates.

Nul ne devrait oublier qu’il y a là un peuple livré à la cruauté et la vindicte d’un Etat colonial qui ne connaît que le langage de la force et qui s’est toujours ingénié, par le passé, à torpiller toutes les initiatives de paix.

Comment des diplomates supposés sérieux, partant de ce passif, peuvent-ils continuer à s’enferrer dans ce genre de diplomatie des petits pas qui n’a rien apporté aux victimes mais comble de l’injustice, a contribué à renforcer Israël et à consolider ses acquis illégaux ?

Balayées aussi toutes les demandes futures de réparation pour les blessures historiques et le devoir de reconnaissance par Israël de sa responsabilité dans cette catastrophe humaine.

Une nouvelle initiative de paix, ne peut avoir de sens que si elle exige, comme préalable à d’ultérieures négociations, qu’Israël cesse toute occupation, toute poursuite de l’oppression, et qu’elle s’accompagne de rétorsions, si ces conditions ne sont pas respectées.

Faire passer dans les faits, les points tels qu’inscrits dans les quelques cinquante pages du document qui va être signé prochainement à Genève, n’honore pas la Suisse. Mme Calmy-Rey, la marraine de cette initiative, se défend de toute critique en disant que, dans l’Accord de Genève, tous les sujets cruciaux ont été mis sur la table avec des propositions de solution. Tout cela est du vent. Ce qu’elle ne dit pas est que l’Accord de Genève fait table rase des droits internationalement acquis par les Palestiniens.

Le peuple palestinien martyrisé à Naplouse, Jenin, Gaza - contrairement à la direction palestinienne qui, elle, a comme souci de se positionner sur la scène internationale et d’en tirer des bénéfices personnels - n’a pas plus de foi en l’initiative de Genève, qu’il n’en a eue dans les défunts Accords d’Oslo, dont il n’a pas encore fini de payer le prix. Loin des feux de la rampe, mais sous les tirs incessants des avions de guerre israéliens, il n’a pu ressentir que comme une nouvelle humiliation le fait que, dans ce document, on ait balayé ce qui faisait déjà partie d’un acquis inaliénable : le droit de retour reconnu par la Résolution 194 des Nations Unies.

En reprenant, encore une fois le même chemin, l’initiative suisse a oublié de répondre à deux questions majeures.

Premièrement : quel a été le véritable résultat du " processus " d’Oslo ?

La réponse est claire : alors que l’objectif proclamé était la fin de l’occupation et des colonies, le nombre de colons juifs en territoire palestinien a plus que doublé, l’annexion des terres palestiniennes s’est amplifiée, la militarisation s’est intensifiée. Le peuple palestinien s’est vu complètement floué.

Deuxièmement : quelle est la force qui s’est, à un moment donné, dressée contre la poursuite de cette spoliation et aurait dû être représentée ?

Là aussi la réponse est claire : c’est le petit peuple palestinien, sa résistance héroïque - que les médias occidentaux se complaisent à assimiler à du terrorisme.

Or qui la Suisse a-t-elle convié à la table des négociations ? L’Autorité palestinienne corrompue, les représentants du Fatah et de l’OLP, compromis avec des processus de paix qui ont permis à Israël de poursuivre son avancée et de les prendre dans les filets de la collaboration.

En résumé. Peut-on vraiment préparer la paix en laissant de côté les forces qui incarnent la résistance du peuple, les factions qui se battent légitimement contre l’occupant et refusent les compromissions de ces autorités palestiniennes qui ont capitulé ?

Il ne faut pas s’étonner si les dirigeants du Hamas, du Jihad, etc, ont refusé cette initiative suisse du début à la fin.

Ceux qui taxent d’extrémistes les Palestiniens qui expriment leur rejet de cette initiative suisse, ont tort. Il convient de rappeler que le droit au retour des réfugiés – mis de côté par ce texte- est au cœur de la question palestinienne et n’est pas négociable de leur point de vue.

Les Palestiniens veulent vraiment la paix. Si, dans l’Accord de Genève, il y avait eu une perche tendue pour qu’ils puissent sortir de l’enfer israélien, ils la saisiraient immédiatement.

Or quand ils s’entendent dire - après tout ce qu’ils ont déjà concédé à Israël sans obtenir aucune contrepartie - que la question des réfugiés de 1948 sera résolue "hors des frontières de l’Etat d’Israël", qu’il faudra " trouver une solution pratique " avec des fonds internationaux, que les réfugiés devront renoncer à leur droit de retour, ils ne peuvent qu’éprouver une véritable aversion à l’égard du projet de paix Suisse.

Accepter ce document, équivaudrait, de leur point de vue, à se suicider.

Alors que M. Yasser Arafat a applaudi l’initiative suisse, en quoi il a fait montre d’opportunisme, M. Ariel Sharon, y a vu son intérêt mais, pour des raisons tactiques, l’a banalisée.

Sur la composition des délégués, il y a de quoi s’interroger !

Même si l’écrivain sioniste Amos Oz ou Avraham Burg, applaudissent aveuglement et cherchent à " vendre " cette initiative en disant qu’elle est soutenue par un groupe appartenant à une " gauche de premier plan " ce ne sont que mots creux. On croit revenir dix ans en arrière.

Quand on veut donner une légitimité à des actes illégitimes - comme le mur de l’apartheid - on affirme que la gauche les soutient. C’est ainsi que le mur n’a pas suscité de protestations en ses débuts. Pareil pour l’Initiative de Genève que toute la "gauche" et le camp de la paix israélien encensent.

Il faut s’entendre ici sur ce que en Occident on qualifie, par erreur, gauche israélienne. Sauf à nous faire croire que le parti travailliste est de gauche, il n’y a pas en Israël de gauche, selon nos critères.

MM. Barak et Peres, qui ont travaillé la main dans la main avec Sharon pour martyriser le peuple palestinien, sont-ils de gauche ?

Aussi, la composition des délégations israéliennes et palestiniennes, impliquées dans les travaux qui ont conduit aux Accords de Genève, est des plus discutables.

En quoi les représentants des partis religieux israéliens, sont-ils plus présentables que les représentants politiques des mouvements religieux palestiniens qui ont été ignorés, absents de toute discussion ?

A côté des figurants de dernière minute, utiles pour faire le marketing, nombre de délégués, présentés comme les architectes de l’Accord de Genève, sont des politiciens qui s’étaient déjà lamentablement compromis lors des Accords d’Oslo. Des négociateurs peu estimés par la majorité des Palestiniens.

Sans parler de ces délégués, qui, comme le colonel Shaul Arieli, le général Shlomo Brom, l’ex officier du Mossad David Kimche, ont du sang sur les mains. D’autre part, si, côté israélien, les délégués couvraient des sensibilités qui allaient, grosso modo, des colombes aux faucons - ou étaient leurs portes paroles - côté palestinien, seuls des hommes choisis dans le giron du Fatah, ont pris part aux discussions.

Quel mépris la Suisse officielle affiche pour la démocratie !

Le Département des Affaires étrangères dirigé par Mme Calmy-Rey - qui a appuyé, financé, facilité ces rencontres - ne pouvait ignorer que les mouvements de résistance palestiniens ont toujours désapprouvé le fait que des membres de l’Autorité palestinienne, négocient quoi que ce soit avec Israël, tant que leur peuple est maintenu sous occupation et se trouve dans une situation d’inégalité.

Il eut fallu que la Suisse prenne en compte le fait, qu’aussi longtemps qu’Israël ne se retire pas au delà de la frontière de 1967, il ne peut être question pour la partie faible, les victimes palestiniennes qui ont tout perdu, de négocier avec lui.

En outre, ne pas avoir consulté ou associé les représentants de toutes les factions palestiniennes (les négociateurs suisses ont associé des militaires israéliens coupables de crimes), c’était faire peu de cas du rapport de force sur le terrain ; c’était nier les règles de la démocratie.

Il eut fallu au moins avoir le cran de mettre tout le monde autour de la table. Et non pas tenir à l’écart les forces politiques qu’Israël qualifie "d’infréquentables". Le Hamas, le Jihad, incarnent aux yeux du peuple palestinien la dignité de sa lutte. Les avoir laissés en dehors était une grave erreur. Pire, c’était avaliser les thèses du gouvernement Sharon qui assimile la résistance au terrorisme. Et même si M. Arafat demeure le symbole qui rassemble, il ne représente pas toutes les composantes de la résistance, que l’OLP a abandonnée.

Israël a profité de ces négociations « secrètes », engagées durant de long mois par la médiation suisse, pour intensifier ses opérations d’épuration ethnique.

La rencontre en Jordanie les 12 et 13 octobre 2003 entre le groupe de Palestiniens et d’Israéliens associés aux pourparlers [1], devait au départ rester secrète ; ce sont les " indiscrétions " d’agents du Mossad, qui l’ont divulguée aux médias.

Pendant que toute l’attention des médias et du public allait se porter sur la Mer Morte l’armée israélienne en a profité pour bombarder et massacrer la population de Rafah sur une large échelle. Ariel Sharon, a de toute évidence programmé son assaut, pour le faire coïncider avec le moment où les médias auraient les yeux braqués sur la Jordanie.

C’est ainsi que, pendant que les invités se prélassaient sur les rives de la Mer Morte, les réfugiés de Yibna-Rafah - l’un des lieux les plus miséreux et désespérés de Gaza – ont vu la destruction de leur quartiers ; des dizaines de milliers d’entre eux ont perdu leur domicile durant ces journées de paix suisse.

C’est dans ce contexte de paix, sur fond d’épuration ethnique pour les Palestiniens de Gaza, que nombre de médias ont eu l’immoralité de présenter l’accord finalisé en Jordanie " un espoir pour le camp de la paix en Israël ". Comme si les Palestiniens, agressés, n’étaient pas les premiers concernés par la paix.

Cela illustre, le regard que l’Occident porte sur " la partie arabe ". Un regard biaisé qui fait peu de cas des vraies victimes de la brutalité aveugle de l’Etat d’Israël.

Or, il faut savoir que le " camp de la paix " israélien, est égoïste dans son désir de paix. La paix oui, mais pour autant qu’Israël puisse garder les acquis obtenus durant un demi siècle de dépossessions. Cela explique pourquoi, dans leur écrasante majorité, les Israéliens sont restés quasiment muets durant ces années où l’Etat juif a humilié, détruit, tué des milliers d’enfants, violé les droits de millions de palestiniens. Et c’est leur déshonneur.

Tant que l’Europe ne se donne pas les moyens d’exiger d’Israël le respect de la légalité internationale, Israël continuera, comme par le passé, de torpiller toutes les initiatives de paix, et fera, comme par le passé, porter aux victimes palestiniennes, la responsabilité de l’impasse.

Cet Accord de Genève, n’aurait de sens que s’il aboutissait, au moment de sa signature en décembre 2003, au retrait immédiat des troupes d’occupation qui martyrisent les Palestiniens.

Dans l’immédiat, ce n’est pas une trêve qu’Israël - qui maintient en Palestine une armée occupante forte de 50 000 hommes et dotée de 1000 chars - préconise, mais le nettoyage ethnique.

Silvia Cattori



[1Le DFAE présentait ici le "projet d’accord définitif entre les deux parties en conflit au Moyen-Orient" établi par le HD Centre (Centre pour le dialogue humanitaire)