Marwan qui réside à Gaza City témoigne.
Le caporal Gilad Shalit
Silvia Cattori : Un groupe armé a capturé le caporal israélien Shalit, le 25 juin 2006, à Gaza. Toutes les chancelleries ont condamné cet acte. Or, alors que depuis deux semaines une cinquantaine de personnes ont été tuées, 200 autres blessées par l’armée israélienne, dont de nombreux enfants, il n’y a pas eu de pression de la part de ces mêmes chancelleries sur Israël ! Cela vous choque-t-il ?
Marwan : Les Palestiniens ne pèsent par lourd sur la balance. Quand un seul soldat israélien est enlevé, le monde entier s’intéresse à lui. Quand l’armée israélienne enlève et assassine des milliers de civils palestiniens, il n’y a pas de réaction. Les Etats arabes font pareil et cela est encore plus condamnable. Ils se mobilisent tous pour faire libérer le soldat israélien alors qu’il y a à Gaza un million et demi de Palestiniens qui vivent emprisonné et souffrent atrocement. L’Egypte a même dépêché à Gaza le chef du renseignement Omar Souleiman pour obtenir la libération du caporal.
Silvia Cattori : « Nous on vous rend le soldat capturé, vous nous rendez nos prisonniers détenus en Israël » ont scandé les familles des détenus palestiniens après cette capture. Israël a immédiatement fait savoir qu’il n’en est pas question. Ces familles ont-elles trop demandé ?
Marwan : Elles n’ont pas demandé grand-chose ! Uniquement la libération des femmes et des jeunes prisonniers au dessous de 18 ans. Soit la libération de 1000 prisonniers sur les 10’000 qu’Israël détient actuellement.
Silvia Cattori : Les services de renseignement du Shabak ont répondu, à ceux qui les ont critiqué pour n’avoir pas déjoué l’enlèvement du caporal Gilad Shalit, qu’ils étaient au courant d’une activité de creusement de tunnel. Faut-il les croire ?
Marwan : Je pense qu’ils n’étaient pas au courant et, surtout, qu’ils ne croyaient pas qu’il y avait chez les Palestiniens une volonté aussi farouche de résister. Ils possèdent une panoplie de systèmes technologiques et quantité de senseurs pour détecter les tunnels. S’ils étaient au courant, ils auraient détruit ce tunnel en construction. On peut dire que, par cet exploit héroïque, les résistants palestiniens ont détruit le mythe d’une « armée qui ne perd jamais une guerre ». Les résistants ont démontré que les services du Shabak ne sont pas incontournables, qu’Israël peut construire tous les murs qu’il veut, rien ne fera reculer la résistance des Palestiniens.
Silvia Cattori : Que veut dire le nom de code « Illusion dissipée » donné à l’enlèvement de Shalit par les résistants ?
Marwan : Cela veut dire que les illusions de la supériorité israélienne sont balayées, que les Israéliens peuvent perdre une guerre si la résistance agit de manière conséquente. Cela indique à nos voisins arabes que, s’ils s’unissaient en un grand mouvement, l’armée israélienne pourrait être abattue par des actions très simples. Cela veut dire aussi, aux gens du Fatah et à tant d’autres -qui ont véhiculé l’illusion que la paix passe par la négociation et les concessions- qu’Israël ne veut rien concéder, que cette voie-là, ces illusions-là, nous ont déjà conduits dans l’impasse.
Silvia Cattori : Si le caporal Shalit n’est pas rendu à Israël, Gaza devra aller au devant d’une grande offensive !
Marwan : Nous n’avons plus rien à perdre.
Silvia Cattori : Le ministre israélien Ben Eliezer a pointé le doigt sur le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal qui vit en Syrie ; l’ambassadeur des Etats-Unis a déclaré que la solution se trouve à Damas. Veulent-ils trouver là prétexte à élargir le conflit ?
Marwan : Israël se considère comme une puissance militaire. Il veut dominer la région. Sa tactique a toujours été d’étendre la guerre vers ses voisins et d’entrainer les Etats-Unis dans sa logique. Depuis 1967, Israël parle des « terroristes arabes ». Il s’arrange pour ne jamais faire la paix avec nous et pousser les Etats-Unis à intervenir en Syrie, en Irak, en Iran. Le scénario est connu. Israël est les Etats-Unis mènent une propagande intense qui consiste à associer Khaled Mechaal, qui vit à Damas, pour accuser la Syrie de ce qui se passe à Gaza et la mettre dans une position de coupable. En Afghanistan, les Etats-Unis ont fait la même chose : ils ont commencé par exercer un chantage sur les Talibans en disant que s’ils ne le leur livraient pas Ben Laden, ils leur feraient la guerre.
Silvia Cattori : Après l’enlèvement du soldat israélo français Gilad Shalit, le Premier ministre Ehud Olmert a déclaré qu’Israël était en mesure d’enlever la moitié du gouvernement palestinien Hamas. Pensez-vous que l’armée israélienne est capable d’aller jusque là ?
Marwan : Peut-être bien que oui. L’armée encercle Gaza avec plus de chars que d’habitude. Nous sommes paralysés. Mais pour nous, ce genre de menace n’est rien de nouveau. Nous vivons sous la terreur israélienne depuis longtemps. Leur présence est dans nos têtes. Combien de nos cadres n’ont-ils pas déjà été assassinés ? Nous vivons sous la menace permanente de nouveaux massacres. Nous craignons que, d’un moment à l’autre, on nous annonce qu’un missile a touché le Premier ministre Ismaël Hanyieh. Nous espérons que l’entente entre Palestiniens se consolide. Quant à Israël, nous n’avons rien de bon à espérer. Les autorités israéliennes veulent se débarrasser de nous. Nous savons que nous serons forcés d’être en guerre avec les Israéliens jusqu’à la fin du monde. Que jamais leur guerre de destruction contre notre peuple ne s’arrêtera.
Silvia Cattori : L’Israélien Avy Pazner, sur une radio française, vous reprochait d’avoir commis un « kidnapping sur sol souverain israélien » ?
Marwan : Mais vous pouvez constater vous-même le culot qu’ils ont les Israéliens ! Comment peuvent-ils présenter les choses ainsi ? Nous accuser de pénétrer dans leur territoire ? Ce que les Israéliens appellent leur « sol souverain » ce sont ni plus ni moins les terres qu’ils nous ont volées et qu’ils continuent d’occuper.
Silvia Cattori : Israël a la force de son côté. Il ne se préoccupe pas de savoir si vos revendications sont légitimes ! Cet enlèvement risque de vous causer bien des pertes !
Marwan : Pour nous, il n’y a jamais de répit. Même quand nous ne faisons rien, il y a toujours des drones, des chars, des hélicoptères qui nous menacent, qui nous épient et attaquent. Nous savons que chaque action des résistants accroit la brutalité des soldats israéliens contre nous. Nous savons que, cette fois-ci, ce sera plus effroyable que la fois précédente. Malgré la peur qui est là, très forte, la majorité des Palestiniens ne veulent pas céder, ne se laissent pas intimider. Quel peuple peut se laisser humilier sans réagir ? Les mères des prisonniers sont allées devant la Croix rouge pour demander aux résistants de ne pas libérer le caporal Chalit, aussi longtemps qu’Israël ne libère pas leurs enfants emprisonnés, même si l’armée israélienne devait mettre Gaza à feu et à sang.
Silvia Cattori : C’est une position très courageuse !
Marwan : On n’a pas le choix. Le gouvernement israélien a laissé entendre très clairement que, même si le soldat était libéré, ceux qui on participé de près ou de loin à l’opération seront assassinés.
Silvia Cattori : Vous ne craignez pas qu’ils vont venir ratisser de maisons à maisons ?
Marwan : Même s’ils le voulaient ici à Gaza c’est impossible. Sinon ils l’auraient déjà fait. Ils ont peur de s’aventurer dans nos quartiers.
Silvia Cattori : Cette nouvelle épreuve a-t-elle permis de surmonter les querelles entre le Fatah et le Hamas ?
Marwan : Je remercie Dieu car nous nous sentons maintenant très soudés, préoccupés de former un front uni face à Israël. On peut espérer que la formation d’un gouvernement d’union nationale est possible avec la participation du Fatah.
Silvia Cattori : Vous n’avez pas d’Etat, vous êtes prisonniers de l’occupant. N’est-ce pas Israël qui devrait assumer la responsabilité de gérer cette terre qu’il occupe ? Ne pensez-vous pas que le Hamas, tout comme hier le Fatah, est dans l’impossibilité de gouverner ? Le peuple ne devrait-il pas demander la dissolution de cette autorité qui, dans le contexte actuel, est une absurdité ?
Marwan : Les militants du Hamas se sont présentés aux élections. Ils les ont gagnées. La situation avec le Fatah était bloquée. Ils ont pris leurs responsabilités dans un contexte extrêmement difficile. Leur principal objectif est d’aider leur peuple honnêtement. Ils ont sacrifié leur vie pour défendre cette cause. Leur demander de démissionner ne va pas arranger notre situation. Car alors les éléments les plus corrompus et détestés du Fatah vont reprendre en main le pouvoir. Nous sommes persuadés que, s’ils reviennent, ils ne vont pas se limiter à arrêter et à torturer les militants du Hamas et du Djihad, comme ils l’ont déjà fait par le passé, mais que, cette fois, ils vont tous les liquider. C’est cela qu’Israël attend d’eux, c’est pour cela qu’Israël a fourni récemment à Abu Mazen et à Mohammed Dahlan, [1] des stocks d’armes et de munitions.
Silvia Cattori : Après ce que vous venez de dire, croyez-vous vraiment qu’une union sincère du Fatah avec le gouvernement du Hamas est possible ?
Marwan : Je n’appartiens ni au Hamas ni au Fatah. J’ai souffert, sous le régime du Fatah, comme la majorité de la population. Pour cette raison, le Hamas est bienvenu : car il est considéré par les gens ici comme une force qui peut faire barrage à ces corrompus du Fatah pressés de revenir au pouvoir.
J’espère que le Hamas arrivera à nous gouverner honnêtement et à persuader les gens du Fatah de s’unir et de travailler de façon à répondre aux attentes du peuple. Ce qui m’intéresse est que les deux parties – Fatah-Hamas- s’accordent entre elles ; et que le Fatah, qui a perdu les élections, accepte l’union que lui propose le Hamas, qu’il s’associe pleinement à cette union nationale pour nous éviter la guerre civile.
Car c’est précisément la guerre entre nous que cherche à obtenir Israël en offrant des facilités au Fatah : diviser le peuple et le pousser ensuite à s’entretuer. Nous dévons éviter coûte que coûte ce piège que nous tend Israël.
Silvia Cattori : Tous les feux sont au rouge en ce moment ?
Marwan : Notre feu vert est le dialogue national. Si après un mois de tractations Abu Mazen (Abbas) signe le document dit « d’entente nationale », et travaille sincèrement en plein accord avec le gouvernement du Hamas, il n’y aura plus de feu rouge pour nous. Unis, nous pourrons mieux résister contre l’occupant.
Silvia Cattori
Entretien traduit de l’arabe
* Vu les circonstances nous respectons le désir de Marwan de garder l’anonymat
[1] Mohammed Dahlan, ancien ministre des affaires civiles, est un conseiller proche du Président Abbas. Il entretient des liens étroits avec la CIA et les militaires iraéliens. Issu d’une famille pauvre, il a bâti sa richesse en détourant l’argent des Palestiniens