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Par Gilad Atzmon
Les erreurs les plus fréquentes du "peuple" israélien

L’auteur est un écrivain et musicien. Clarinettiste et saxophoniste, il a été sacré meilleur musicien de jazz britannique en 2003 par la BBC. Né en Palestine en 1963, il est désormais citoyen britannique. Avec son groupe The Orient House Ensemble, il vient de publier le CD « Musik, re-arranging the 20th Century », ENJA Records 2004.

16 décembre 2007

Les erreurs les plus communément commises par les Israéliens sont les suivantes :

1 - Ils ne comprennent pas qu’il n’y a pas de différence significative entre Tel Aviv et une colonie juive en Cisjordanie ;

2 - Ils pensent que la création de l’état d’Israël était une conséquence de l’Holocauste ;

3 - Ils se considèrent comme un peuple innocent, et donc, comme les victimes du conflit israélo-palestinien ;

4 - Ils croient vivre dans une démocratie et que, par conséquent, leurs atrocités sont légitimes ;

5 - Ils sont convaincus qu’ils vivent dans une société ouverte, jouissant du pluralisme politique et idéologique ;

6 - Ils croient que le ghetto, c’est terminé ;

7 - Ils sont convaincus que l’idée d’ « Etat juif » est un concept légitime
 ;

8 - Ils pensent qu’Israël est le refuge de tout le peuple juif et la meilleure réponse à l’antisémitisme ;

9 - Ils se voient en humanistes ;

10 - Ils sont persuadés qu’Israël est immortel.

Tout au long de la relativement brève histoire du nationalisme juif, nombreux sont les juifs à avoir trouvé des failles dans la philosophie sioniste. Ils sont nombreux à s’être détachés du sionisme. Depuis la déclaration de la création de l’Etat israélien, de nombreux Israéliens ont quitté Israël et un nombre non négligeable de juifs, dans le monde entier, ont rejoint le mouvement de libération palestinien. Les Israéliens, en revanche, sont ceux qui ne parviennent toujours pas à comprendre que les dix croyances listées ci-dessus sont des erreurs gravissimes, et même fatales.

On pourrait se demander pourquoi ces erreurs fondamentales sont plus le fait des sionistes, en particulier, et non de la totalité des Israéliens. En réponse, je dirai que le peuple israélien est constitué de sionistes, quand bien même les Israéliens ont-ils une connaissance très limitée de ce qu’est en réalité le sionisme. La plupart des Israéliens sont nés dans une réalité coloniale et raciste. Ils sont éduqués à pérenniser le sionisme et non à l’interroger. Cette acceptation aveugle de l’une des visions du monde les plus chauvines qui soient fait des Israéliens les candidats les plus improbables pour une quelconque forme de négociation de paix.

Voyons ces erreurs, dans le détail

1 - Ne pas comprendre qu’il n’y a pas de différence essentielle entre Tel Aviv et une colonie juive en Cisjordanie

La plupart des Israéliens considèrent les colonies juives dans les « territoires occupés » et les colons comme des obstacles sur la voie de la paix. Les Israéliens, en général et les soi-disant sionistes « de gôche », en particulier, depuis leur univers autocentré, sont absolument convaincus qu’un retrait des forces armées israéliennes jusqu’aux frontières d’avant 1967 leur assurerait la paix. La seule explication plausible de cette conception erronée des choses tient au fait que ce n’est qu’après 1967 que les Israéliens ont été confrontés en face à face avec les Palestiniens qui avaient été épurés ethniquement en 1948 (et qui faisaient « soudain » leur apparition dans la nouvelle extension prise par les territoires occupés). Les Israéliens veulent croire que ce qu’ils ne voient pas n’existe pas. Ils persistent à refuser de reconnaître que la « cause palestinienne » est fondée sur l’exigence justifiée, pour tout peuple, de pouvoir rentrer dans son pays.

La semaine dernière, Nabil Sha’ath, ministre, de l’Autorité palestinienne, a fait la déclaration suivante, au sujet du « droit au retour » : « La feuille de route pour la paix au Moyen-Orient sponsorisée par les Etats-Unis garantit aux réfugiés palestiniens le droit de retourner dans leurs maisons en Israël ou dans les territoires conquis durant la guerre des Six Jours, en 1967 » (haaretz.com, 16.08.2003).

Voyons maintenant quelques commentaires des principaux hommes politiques israéliens, à ce sujet :

« Jamais les réfugiés ne seront autorisés à revenir en Israël » - Le porte-parole du gouvernement israélien, Avi Pazner (haaretz.com, 17.08.2003)

« Toute avancée dans la mise en application de la feuille de route dépendra de l’abandon par les Palestiniens du droit au retour à l’intérieur d’ Israël » - Le ministre israélien de la Santé Dan Naveh (haaretz.com, 17.08.2003)

« Les Palestiniens, toujours et encore, soulèvent un problème insoluble pour eux » - Le secrétaire du parti Travailliste Shimon Pérès (haaretz.com, 17.08.2003).

« Tous les partis politiques, en Israël, sont unanimes dans leur opposition à un droit de retour des Palestiniens en Israël » - Le député travailliste à la Knesset Matan Vilnai (haaretz.com, 17.08.2003)

« Israël et l’Autorité palestinienne ont un intérêt commun à trouver des solutions au problème des réfugiés à l’intérieur des frontières d’un Etat palestinien, et non en Israël. » - Le député du parti Meretz, Ran Cohen (haaretz.com, 17.08.2003).

Comme on le voit, les hommes politiques israéliens ne savent toujours pas ce qu’est la cause palestinienne. Ils persistent à attendre des Palestiniens qu ‘ils renoncent à leurs droits entièrement légitimes. En fait, ils attendent des Palestiniens qu’ils renoncent à être des Palestiniens. J’aurais tendance à dire qu’ils se font des illusions - les Palestiniens ne renonceront jamais
à leur droit au retour. Ils ne renonceront jamais à la résistance contre le colonialisme sioniste. Certainement pas maintenant, pas en ce moment, où ils reçoivent un soutien croissant du monde entier. Il n’est pas un seul Palestinien qui ne sache que le sionisme veut faire de toute la Palestine un territoire exclusivement juif. En ce sens, Tel Aviv, qui est située pour partie sur des territoires palestiniens confisqués (Jaffa, Abu Kabir, Sheikh Munis, etc.), et Elon More, une colonie de Cisjordanie, c’est exactement la même chose. Ce sont des colonies juives sur le sol palestinien.

2 - Croire que la création d’Israël est une conséquence de l’Holocauste

Tout d’abord, quelques citations. Eclairantes.

« Un juif élevé parmi des Allemands peut adopter les coutumes allemandes, la langue allemande. Il peut être entièrement imbu du fluide allemand, mais le noyau de sa structure spirituelle restera à jamais juif, parce que son sang, son corps, son type physique et racial sont juifs » - Vladimir Jabotinsky, dans « Une Lettre sur l’Autonomie », 1904. (Jabotinsky est le mentor idéologique de la droite israélienne.)

« Moi aussi, tout comme Hitler, je crois en la puissance du sang » - Chaim Nachman Bialik, L’Heure présente, 1934. (Bialik est le poète national israélien officiel).

« Eusse-je été juif que j’aurais été un sioniste fanatique » - Adolf Eichmann, 1955, publié dans Life Magazine en 1960. (Eichmnan, officier SS chargé du « problème juif », a fait cette observation en évoquant une visite effectuée en Palestine en 1937.)

Au long des années, le peuple israélien a adopté une vision bizarre de son propre récit historique sioniste. En quelque sorte, les Israéliens ont décidé que leur aventure de colonialisme et de nationalisme militants serait en réalité un « mouvement de recherche de la paix » de la post-shoah. Dans les premiers jours d’Israël, cette notion manipulatrice s’est avérée très efficace à créer du soutien occidental, probablement en raison des sentiments de culpabilité latents chez les peuples occidentaux. Depuis la guerre au Liban, en 1982, l’opinion occidentale a basculé. De plus en plus de gens reconnaissent que ce sont les Palestiniens qui sont en réalité « les dernières victimes d’Hitler ». Tandis que le monde occidental prend conscience - lentement, mais sûrement - des crimes inhumains perpétrés actuellement par Israël, les Israéliens croient encore en l’image qu’ils se sont eux-mêmes fabriquée. Les Israéliens sont convaincus que l’Etat juif a été créé, après l’Holocauste, afin d’assurer un havre sûr pour les Juifs en cas de répétition du désastre. Cette erreur découle en ligne directe de la mauvaise lecture d’événements historiques cruciaux. Israël est le fruit du sionisme et l’idéologie sioniste était déjà fermement établie, bien avant qu’Hitler ne naisse.

De plus, il y a de bonnes raisons de penser qu’Hitler a développé en partie son argumentaire antisémite après avoir lu les textes sionistes fondamentaux. De Ber Borochov, il a pu apprendre à quel point les juifs étaient anormaux sociologiquement (« La structure socio-économique du peuple juif diffère radicalement de celle des autres nations. Notre structure est une structure anomale, anormale », Ber Borochov, 1897, publié in Moshe Cohen (ed.), Nationalisme et Lutte des Classes : Une Approche marxiste du problème juif, 1937). De Jabotinsky, il a pu apprendre à quel point la pureté du sang était cruciale, pour les sionistes. Les citations faites ici montrent que le sionisme et le nazisme sont d’une nature très semblable (tous deux sont des mouvements nationalistes inspirés par des concepts de pureté raciale). Une chose, cependant, est certaine : c’est le sionisme qui a précédé le nazisme.

Par ailleurs, si nous prenons le parti d’accompagner l’auto-tromperie qui fait considérer Israël comme une conséquence de l’Holocauste, nous devrons prendre acte du fait que les sionistes ont toujours été plus qu’enthousiastes vis-à-vis de l’antisémitisme. Aux yeux des sionistes, c’est l’antisémitisme qui poussera les juifs vers leur « foyer national ». Par conséquent, les sionistes ont eu conscience, dès le début, du fait que l’ Allemagne nazie représentait pour eux une grande opportunité. Tandis qu’avant-guerre les organisations sionistes collaboraient avec les nazis afin de transférer les biens des juifs allemands vers la Palestine, une fois la guerre déclarée, l’étendue du désastre ayant été déjà largement révélée, les sionistes, dans le monde entier, ont fait extrêmement peu de choses afin d’aider leurs frères et leurs soeurs juifs persécutés en Europe. Un incident significatif doit être mentionné à ce propos. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, Adolf Eichmann (agissant pour le compte d’Heinrich Himmler) offrit à Rezso Kasztner, un dirigeant sioniste hongrois, la liberté de près d’un million de juifs, en échange de la fourniture de 10 000 camions. De manière tout à fait étonnante, cette proposition a été ignorée par les organisations sionistes, qui avaient pris conscience, à l’époque, du fait que l’annihilation des juifs européens contribuerait à générer suffisamment de soutien, parmi les nations, à la création future de l’Etat juif. Apparemment, l’offre des nazis se réduisit à un seul train et à seulement quelque six cents juifs hongrois, sionistes convaincus. A l’évidence, les sionistes n’étaient absolument pas intéressés par le sauvetage de juifs assimilés ou orthodoxes.

C’est bien triste, mais il force nous est bien d’admettre qu’au moins tactiquement, l’avenir allait donner raison aux sionistes : la liquidation des juifs européens a bien généré, dans les faits, un immense soutien à la cause sioniste, qui finit par aboutir à la création de l’Etat juif. Néanmoins, si nous faisons nôtre cette manière de penser, nous devons considérer que les dirigeants sionistes sont en partie responsables de la liquidation des juifs d’Europe.

3 - Se considérer innocents, et par conséquent victimes du conflit israélo-palestinien

Je sais : c’est dur à croire. Mais les Israéliens se considèrent effectivement innocents. Même ces Israéliens qui ont personnellement pris part à l’épuration ethnique des Palestiniens et qui les ont terrorisés des décennies durant (tels un Peres ou un Sharon) ont la chutzpah (le culot) de se considérer victimes. Même le fait évident que depuis un demi-siècle les Israéliens votent constamment en faveur du déni aux Palestiniens de leurs droits les plus élémentaires n’a jamais amené les esprits marqués au coin du sionisme à se tourner vers des observations plus sceptiques. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas un seul parti politique, au parlement israélien, qui reconnaisse le droit des Palestiniens à revenir chez eux.

Lorsqu’on prend en considération le fait que la juiverie mondiale conduite par le gouvernement israélien est joliment efficace lorsqu’il s’agit de formuler des exigences concernant les intérêts juifs d’avant la Seconde guerre mondiale (relatifs à des comptes bancaires ou des biens en Europe orientale), il est tout à fait bizarre que les Israéliens soient aussi doués pour ignorer des droits palestiniens en tous points similaires. Comment se fait-il que les juifs, tellement enthousiastes à pallier aux injustices du système bancaire helvétique, sont sourds comme des pots et myopes comme des taupes lorsqu’il s’agit du vol perpétré par eux, et en cours, du territoire palestinien, des capitaux palestiniens et de la dignité des Palestiniens ? A cette question, je suggère deux réponses possibles :

a - Soit les Israéliens et les sionistes ne sont pas authentiquement concernés par les injustices faites contre leur peuple dans le passé – au quel cas, seuls l’avidité et l’enthousiasme politique, voire les deux, les motivent.

b - Soit ce sont là gens bien inhabituels, qui ne répondent à aucun modèle humain d’empathie et par conséquent nous ne devons pas attendre d’eux qu’ils ressentent le moindre sentiment de compassion ou de culpabilité au sujet de leurs propres crimes perpétrés contre les gentils en général et le peuple palestinien en particulier.

Il est largement connu que des milliers de jeunes Israéliens se rendent en Pologne chaque année pour aller visiter les différents centres d’attraction touristique autour du thème de la « Shoah ». Ces voyages sont subventionnés par le gouvernement israélien et de nombreuses organisations juives. On aurait pu s’attendre à ce qu’une fois incorporés dans l’armée israélienne, ces fringants petits jeunes appliquassent la leçon morale et ressentissent quelque compassion authentique vis-à-vis de leurs voisins palestiniens. Que nenni. Bien qu’il soit très clair qu’ils ont bien effectivement retenu une leçon, ce n’est malheureusement pas la bonne : lorsqu’ils sont envoyés dans les territoires occupés, ils se comportent tout à fait comme la Wermacht. Pas étonnant que les Israéliens investissent tant de fric dans ces « voyages éducatifs ».

4 - Etre persuadés de vivre dans une démocratie et que, par conséquent, leurs atrocités sont légitimes

En dépit du fait que plus de la moitié de la population vivant à l’intérieur des frontières d’Israël se voit dénier le droit de voter, les Israéliens se considèrent comme un peuple démocrate. Plus, (ce en quoi ils peuvent se tenir la main avec la plupart des Américains), ils pensent que leur « liberté » dans leurs choix politiques leur donne le mandat de décider du sort d’autres peuples. Les Israéliens sont persuadés que leurs actes meurtriers sont totalement légitimes, pour l’unique et simple raison qu’ils sont « la seule démocratie au Moyen-Orient ». Cela peut être expliqué en faisant référence à l’interprétation israélienne du concept juif de l’ « élection (divine, ndt) ». Alors que les juifs orthodoxes considèrent le fait d’être le peuple élu comme un fardeau éthique et spirituel, les Israéliens considèrent leur « élection » comme une sorte de don venu du ciel : c’est une condition dans laquelle vous venez au monde et qui fait de vous un surhomme. En très peu de temps, le peuple israélien a développé un système de « démocratie spéciale peuple élu » qui leur permet, à eux - peuple élu - de dicter leur conception du monde à ceux qui sont trop faibles (pour l’instant, tout au moins) pour répliquer. Il est important de mentionner qu’Israël n’est pas le seul pays à avoir une « démocratie spéciale peuple élu ». La démocratie américaine suit tout à fait une ligne de pensée analogue. Depuis la Seconde guerre mondiale, le peuple américain décide pour le reste du monde comment celui-ci doit contribuer à l’accroissement de la
richesse américaine. Pas étonnant, dès lors, que ces deux « démocraties spéciales peuples élus » soient tellement entichées l’une de l’autre !

5 - Etre convaincus qu’ils vivent dans une société ouverte jouissant d’un certain pluralisme politico-idéologique

« La gauche israélienne a un gros problème : on y pense qu’être pour la paix est simplement affaire de slogans. Moi, voilà ce que je dis : Si vous voulez chanter des slogans, faites-vous chanteurs ! » - Shimon Pérès, The Independent, 04.08.2003.

Les Israéliens ont tendance à croire qu’ils jouissent d’une société pluraliste, avec un réel débat entre gauche et droite. Traditionnellement, la pensée de gauche est identifiée à une lutte pour l’égalité sociale et légale, tandis que les politiques de droite sont considérées représenter la récompense des entreprises des puissants. De manière plutôt comique, lorsqu’il s’agit d’Israël, une telle distinction ne s’applique plus. La gauche israélienne n’essaie même pas de faire des Israéliens des participants égaux au jeu social et les sionistes de droite ne les acceptent même pas sur le terrain. Dans la pratique, tant la droite que la gauche israéliennes ont adopté la philosophie jabotinskienne, de droite, « du mur d’acier », qui vise à édifier un pouvoir « inviolable par la population indigène » [Vladimir Jabotinsky, Le Mur d’Acier, 1923].

Je suppose que la raison pour laquelle les Israéliens ne voient pas que leur société est exempte d’un quelconque débat réel entre droite et gauche tient au fait qu’il ne savent pas faire le distinguo entre débat idéologique et débat politique. Alors que, dans la pratique, il n’y a absolument aucune différence idéologique entre le parti Likoud et le parti Travailliste, le peuple israélien s’entête à voir dans leurs querelles politicardes un réel débat idéologique.

Au Royaume-Uni, par contraste, la plupart des gens comprennent aujourd’hui que Tony Blair est un leader conservateur déguisé en travailliste. Le peuple britannique a plusieurs coudées d’avance sur les Israéliens pour ce qui est de la vision réelle du contexte idéologique dans lequel se déroule leur jeu politique respectif. En Israël, très rares sont les gens qui comprennent que les différences entre Pérès et Sharon sont extrêmement marginales. Et comme si cela ne suffisait pas, par-dessus le marché, des organisations de gauche israéliennes telles La Paix, Maintenant !, le mouvement des Femmes en Noir et le Bloc de la Paix [Gush Shalom], qui défendent courageusement les droits des Palestiniens, soutiennent l’ainsi dite « solution à deux Etats » ! Une analyse un peu poussée de ces mouvements israéliens « de gauche » révèlera la réalité, dévastatrice : leur programme politique est extrêmement proche de celui de Sharon. Aussi douloureux cela soit-il à admettre, ce qu’on s’entête à qualifier de « gauche israélienne » n’existe pas.

6 - Ils pensent que le ghetto appartient à un passé révolu

Les aspirations nationalistes des juifs ont fait leur apparition à la fin du dix-neuvième siècle, à la suite de l’émancipation des juifs européens. Les idéologues sionistes ont suivi la vague du nationalisme européen. Les premiers sionistes voyaient dans la possibilité que les juifs s’ assimilassent (aux sociétés dans lesquelles ils vivaient) un grave danger pour l’existence juive elle-même. Beaucoup de ces penseurs étaient aussi d’avis que le peuple juif souffrait de dysfonctionnements sociaux sévères, et ils qualifiaient les occupations traditionnellement juives de non-productives. Le présupposé sioniste, à l’époque, consistait à dire que
cette condition sociale malsaine résultait de trop longs siècles de vie dans les ghettos de la diaspora en pays étrangers. Le sionisme était censé représenter un remède aux nombreuses et variées « maladies juives traditionnelles ». Il entendait créer un nouveau genre de juifs : des hommes laïques, civilisés et productifs, vivant sur leur propre terre qu’il cultiveraient de leurs propres mains, tout en communiquant entre eux dans leur propre langue (l’hébreu), c’est-à-dire quasiment l’opposé du juif du
ghetto est européen archétypal. Cette expérience allait s’avérer mort-née. Ce « nouveau juif » n’a jamais existé.

Le sionisme n’a jamais été un mouvement séculier. La laïcité est une philosophie alternative à la religion, mais lorsque c’est du sionisme et d’ une laïcité juive qu’il s’agit, on constate que, certes, le sionisme rejette certains rituels juifs, mais c’est pour immédiatement en adopter d’autres, nouveaux. Dès le début, le sionisme a adopté de nombreux symboles bibliques héroïques et mystiques, principalement de nature suicidaire (les histoires de Massada, épopée racontant un hara-kiri collectif et celle de Samson, le premier terroriste kamikaze juif, en sont des illustrations, mais il y en a d’autres). De plus, la décision de ressusciter l’Etat juif en Palestine s’inscrit en droite ligne dans la promesse biblique. Bien qu’au début il ait pu sembler qu’un réel effort en vue d’établir une civilisation hébraïque était fait, tout visiteur d’Israël, aujourd’hui, serait d’accord pour dire que la plupart des aspects hébraïques sont en train de disparaître de la culture israélienne entrée en décadence.

Même l’hébreu est de jour en jour de plus en plus estropié. Inutile de dire que dès leur arrivée, les sionistes se sont rendu compte du fait qu’il était beaucoup plus facile de recourir à la force de travail palestinienne que de se faire griller la couenne dans les champs écrasés sous le cagnard méditerranéen. Rétrospectivement, il serait bien difficile de trouver un seul indice majeur d’une renaissance culturelle hébraïque, si on met à part quelques fâcheuses habitudes barbares qui se sont développées spontanément
au cours de nombreuses décennies d’une oppression sadique. Un examen de l’apport considérable et impressionnant du peuple juif à la culture mondiale montrera que très peu de choses proviennent de l’Etat juif. Cela n’a rien de particulièrement surprenant. Comme nous le savons, la contribution culturelle échappée des ghettos fut extrêmement maigre. Lorsque nous passons en revue les grands penseurs et les grands artistes juifs, nous voyons que tous étaient des juifs émancipés, qui avaient préféré l’assimilation au sionisme et à l’orthodoxie. Le remarquable « Mur de Protection » de Sharon est là, et bien là, qui nous explique pourquoi Israël n’a jamais rien produit sur le plan de la culture. En réalité, les sionistes n’ont jamais quitté le ghetto. Ils n’ont fait que le déménager d’Europe orientale en Palestine. Sans doute le concept de ségrégation est-il consubstantiel au sionisme.

7 - Etre persuadés que l’ « Etat juif » est un concept légitime

Cette erreur résulte d’une mauvaise lecture du changement culturel intervenu au vingtième siècle. Lorsque le sionisme est né, il représentait une philosophie et une idéologie plus que légitimes. Il s’inscrivait dans le mouvement nationaliste européen du dix-neuvième siècle et il s’était développé à une époque où la haine de l’Autre était plus que répandue dans le discours européen, tant culturel que politique. Les sionistes révisionnistes, emmenés par Vladimir Jabotinsky, admiraient ouvertement le fascisme italien et voyaient en Mussolini leur mentor idéologique. De plus, Jabotinsky avait adopté l’idée de la pureté raciale bien des années avant qu‘Hitler en ait fait seulement mention. A l’époque, le sionisme n’était pas la seule philosophie prônant un Etat nationaliste fondé sur la pureté raciale. Après la Seconde guerre mondiale et la chute du nazisme, toutefois, les choses ont changé. L’idée d’un état fondé sur la pureté raciale n’est plus légitime. Il n’est pas jusqu’au fascisme américain new-look qui ne soit multiracial. De fait, Israël est le seul exemple d’un état nationaliste fondé sur la pureté raciale encore existant. Le concept d’Etat juif n’a plus
aucune légitimité aujourd’hui.

8 - Croire qu’Israël représente un havre pour l’entièreté du peuple juif, et donc la meilleure parade qui soit à l’antisémitisme

Mme Tzipi Livni, ministre israélienne de l’Immigration, a révélé récemment que l’immigration juive en Israël a pratiquement totalement cessé. Autrement dit, elle a admis qu’Israël n’est pas l’endroit le plus attractif pour les juifs, qui ne désirent plus venir y vivre. Il n’y a pas très longtemps non plus, j’ai assisté à la conférence d’un porte-parole palestinien, ici, en Angleterre. Quelqu’un a demandé à ce représentant palestinien s’il pouvait justifier les attentats suicides palestiniens perpétrés contre des civils israéliens. Se dispensant de traiter des aspects moraux extrêmement complexes de cette question rebattue, le représentant palestinien s’en est tenu aux aspects pragmatiques des différentes formes que peut revêtir la résistance palestinienne. Son argument fut très simple : « Si Israël est l’Etat du peuple juif, seul le terrorisme palestinien pourrait faire de cet Etat un endroit extrêmement inhospitalier pour les juifs. » Pas de doute là-dessus : les attentats suicides sont très efficaces à cet effet. Les
propos de Tzipi Livni sont venus le confirmer : le terrorisme palestinien est en train de défaire l’aventure sioniste. Mais l’échec du sionisme est bien plus dramatique encore que cela. Non seulement Israël n’a en rien freiné l’antisémitisme, mais en eux-mêmes, les crimes inhumains dévastateurs commis quotidiennement par Israël « au nom du peuple juif » font de l’antisémitisme une philosophie légitime. Aucun doute non plus : la prochaine catastrophe pour les juifs sera due à une réaction à l’encontre du sionisme. (Il est important de noter à nouveau que le sionisme est tout à fait consciemment enthousiasmé par l’antisémitisme. Ici, nous sommes confrontés à un cercle vicieux initialisé par les sionistes : Israël commet délibérément des crimes inhumains afin de générer des actes antisémites, censés amener les juifs à se persuader que le sionisme représente(rait) la Solution – la seule et unique - au « problème juif ».)

9 - Se considérer humanistes

Non. Ça n’est pas une blague. En dépit de la souffrance qu’ils infligent à leurs voisins, les Israéliens se considèrent humanistes. De plus, il semble que sa pseudo aura humaniste soit très importante, pour le peuple israélien. Vous trouverez des équipes israéliennes de secours et d’urgence médicale dans tous les lieux où se produisent des catastrophes, dans le monde entier. Toutefois, pour une raison que j’ignore, vous ne trouverez jamais ces chevaliers de l’humanisme israélien à Gaza, ni à Jénine.

Je suppose que le déguisement humaniste des Israéliens a quelque lien avec le legs marxiste universel, adopté en partie par les premiers sionistes « de gôche ». Ils disaient qu’il fallait se rappeler que rien, absolument rien, dans la philosophie sioniste, ne faisait écho à un quelconque code moral de conduite. Le sionisme est affaire cent pour cent juive. Il a été inventé par les juifs, et ne peut être appliqué qu’aux juifs. L’appel à l’unification du prolétariat mondial, qui figura durant des décennies à l’en-tête de certains journaux sionistes de gauche, n’était qu’une prétention de femme saoule, avec pratiquement rien derrière. De plus, les partis de gauche qui en appelaient au cosmopolitisme international n’en prenaient pas moins, dans la vraie vie, une part très active dans la dépossession des indigènes palestiniens. La grande majorité des kibboutz sont installés sur des terrains extorqués aux Palestiniens. Le vol des terres des Palestiniens représente le cour même de toutes les philosophies sionistes. Je pense que
le déni des droits humains les plus fondamentaux par le peuple israélien s’explique par leur persuasion d’être une race élue. Pourquoi la Palestine devrait-elle appartenir aux juifs, qui l’ont quittée il y a deux millénaires, et non aux Palestiniens, qui y vivent depuis la nuit des temps ? Probablement parce que les juifs sont « élus » et parce que leur texte biblique est supérieur à tout autre texte (y compris les documents légaux). Comment pourrait-on être à la fois « élu » et humaniste ? C’est là une question majeure qu’il faudrait poser aux Israéliens. On verrait alors que, dans le nouveau monde sous domination juiméricaine, vous n’êtes autorisé à vous considérer humaniste qu’aussi longtemps que vous disposez de suffisamment de bombes nucléaires pour soutenir votre image de marque.

10 - La certitude de l’immortalité d’Israël

En fait, Israël est bel et bien une entité déjà morte. Il connaît un processus rapide de désintégration et d’éclatement entre fractions isolées qui n’ont en commun aucun but collectif. Plus tôt que tard, les secteurs aujourd’hui rejetés de la société israélienne vont comprendre qu’ils ont beaucoup plus de choses en commun avec le peuple palestinien qu’avec les zélotes sionistes. La soi-disant « gauche » sioniste va comprendre qu’elle a beaucoup plus de choses en commun avec Nabil Sha’ath et Sa’ib Erakat qu’avec l’un quelconque des membres du parti Likoud. Les juifs orthodoxes vont prendre conscience du fait qu’il ont bien plus de choses en commun avec le fondamentalisme islamique qu’avec le front israélien soi-disant « laïque et libéral ». Les nouveaux immigrants russes n’ont même pas essayé de s’intégrer à la société hébraïque, qu’ils méprisent souverainement. Les Ethiopiens se rendent compte que la suprématie sioniste est leur plus grand ennemi. Les jours du sionisme sont comptés. Il n’est nul besoin d’une
guerre. Laissons les sionistes se détruire eux-mêmes en « paix ».
Claquemurés derrière les murailles du ghetto qu’ils s’imposent à eux-mêmes, il n’ont pas d’autre option.

Quelle issue ?

Il semble que toute forme de communication avec les Israéliens soit totalement impossible, à moins de se compromettre avec leur auto-tromperie. Dès lors qu’il est clair que les Israéliens excellent dans l’autodestruction, tout ce que nous avons à faire, c’est leur servir de catalyseur. Une série graduée de mises au ban et de boycotts devrait faire l’affaire. Nous devons commencer sans plus attendre par les boycotts culturels et commerciaux. Nous devons faire en sorte que les criminels de guerre sionistes et israéliens soient arrêtés dès qu’ils atterrissent sur le sol du monde libre (en supposant, bien sûr, qu’une telle chose existe). Si cela ne suffit pas, nous devons aller plus loin et interdire aux Israéliens de voyager en Europe tant qu’ils n’auront pas déclaré leur rejet total du
sionisme. Tous ces Etats, si nombreux, qui sont tellement courageux lorsqu’il s’agit d’interdire l’antisémitisme, la propagande néonazie et toute autre forme de racisme, doivent envisager immédiatement d’ajouter les menées sionistes à leur liste d’activités prohibées.

Cela ne prendra pas beaucoup de temps. Si on leur offre la chance de vivre un entracte de vérité, les Israéliens seront heureux de laisser tomber le sionisme et de rejoindre la commune Humanité.

Gilad Atzmon
24 août 2003
Traduit de l’anglais par M. Charbonnier