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Excellent Olivier Berruyer
Régis Debray et Gabriel Robin : La diplomatie française se fourvoie parce qu’elle est inculte

Régis Debray et Gabriel Robin : Notre diplomatie se fourvoie parce qu’elle est inculte. -
Fermons Sciences-Po et l’ENA, qui fabriquent des gens incultes, donc dangereux.

Un débat de haut vol sur France Culture le 29/05 – ça change tout de suite quand on n’a pas les “experts” médiatiques classiques… Après la partie sur l’Europe, voici aujourd’hui, la partie sur l’Ukraine…[Olivier Berruyer]

Marc Voinchet – [...] C’était La chronique de Brice Couturier sur franceculture.fr [N.B. Totalement sans intérêt]. Qui répond, commente ? Gabriel Robin ?

Gabriel Robin – Il n’y a pas de politique étrangère commune mais j’ai longtemps cru que c’était le simple vide et que le principal inconvénient qu’on pouvait y voir, c’est que ça tendait à réduire au silence les Etats. Mais je suis obligé de constater depuis quelques mois que c’est plus grave que ça. Cette politique étrangère inexistante est capable de faire des gros dégâts. Le cas typique est évidemment celui de l’Ukraine où nous avons laissé faire l’administration de Bruxelles, la soi-disant politique étrangère de Bruxelles qui a opéré de façon autonome, sous l’œil plus ou moins distrait des Etats membres. Et dans cette affaire-là, elle a fait d’énormes dégâts.

Brice Couturier – Attendez, c’était quand même les Français, les Allemands et les Polonais qui ont été régler l’affaire à Kiev, c’est pas Catherine Ashton…

Gabriel Robin – Ils n’ont rien réglé du tout !…

Brice Couturier – enfin c’est pas Catherine Ashton qui a pris ça en charge, c’est les Français, les Allemands et les Polonais qui sont directement intéressés.

Gabriel Robin – Oui mais vous êtes déjà à un stade très avancé de l’affaire où ils viennent parce qu’il y a le feu. Mais qui avait mis le feu en premier ?

Brice Couturier – Les gens qui ne supportaient pas le régime précédent peut-être, non ? On peut leur demander leur avis.

Gabriel Robin – Ce qui a été le déclic de la crise, c’est l’accord d’association, l’accord d’association entre l’Europe et l’Ukraine. C’est parce que, et c’est très curieux et c’est typique des temps modernes…

Brice Couturier – Mais qui a demandé cet accord, les Ukrainiens ou les Français ? Enfin les Européens ? Il me semble que ce sont les Ukrainiens, non ?

Gabriel Robin – Enfin les deux, les deux visiblement puisque finalement…

Brice Couturier – Et vous savez que tous les premiers ministres ukrainiens qui se sont succédé depuis l’indépendance en 1992 ont toujours accepté cet accord et l’ont poursuivi, cet accord de négociation ?

Gabriel Robin – Sauf au moment où monsieur Ianoukovytch a dit non, donc c’est pas tout le temps !…

Brice Couturier – Voilà, quand il est rentré de Moscou où on lui avait proposé quelque argent pour dire non…

Gabriel Robin – et c’est cette décision de Ianoukovytch qui a déclenché la crise, nous sommes bien d’accord, c’est donc l’accord d’association qui est instrumental dans la crise. Et pourquoi est-ce qu’on voulait cet accord d’association ? Pourquoi est-ce qu’on l’a proposé à l’Ukraine ? Parce qu’on voulait faire pièce à la Russie ! Il y a eu, à un moment donné, la Russie a proposé à l’Europe : il faudrait qu’on regarde, nous, nous avons un projet d’union douanière, l’Europe a projet d’union douanière avec l’Ukraine, il faudrait pour que ça s’arrange, qu’on en parle. L’Europe a refusé en disant : ‘’moi je ne parle pas avec les russes, c’est mon affaire avec l’Ukraine etc…’’. Et nous avons dit aux ukrainiens : ‘’il faut choisir ! Entre votre accord avec Moscou et l’accord avec l’Europe’’.

Brice Couturier – Et ils ont choisi l’Europe visiblement.

Gabriel Robin – Et alors ils ont choisi l’Europe…c’est plus difficile à dire que ça car en réalité Ianoukovytch a finalement refusé au dernier moment, il a dit non. Donc on ne peut pas dire qu’ils ont accepté. Ce qui a accepté…

Brice Couturier – A ce moment-là, la population s’est révoltée contre lui.

Gabriel Robin – à ce moment-là, la population s’est révoltée, spontanément bien entendu mais malgré tout encouragée par l’Europe, l’Europe n’a pas été neutre dans cette affaire.

Agnès Benassy Quéré – Enfin il faut quand même dire que l’Europe a des accords d’association avec tous ses voisins et c’est une politique qui n’est pas dirigée contre la Russie, c’est une politique générale de l’Europe de faire des accords d’association. On ne peut pas dire…c’est vraiment l’Ukraine…

Brice Couturier – Avec le Maghreb ou la Turquie par exemple…

Agnès Benassy Quéré – qui a été prise au piège de la Russie. Sinon l’Europe est relativement neutre là pour le coup.

[Commentaire d’Olivier Berruyer
" je vous recommande de relire mon étude sur le rôle néfaste central de l’UE dans l’affaire ukrainienne dans ce billet.. "]

Marc Voinchet – Gabriel Robin ?

Gabriel Robin – L’Europe n’est pas neutre du tout dans cette affaire. Il suffisait d’entendre tous les gens qui allaient à Kiev soutenir les révolutionnaires de la place Maïdan. En réalité, il y avait une pointe antirusse absolument évidente et vaguement l’espoir, qui n’était d’ailleurs pas si vague que cela et pas si vaguement dit, que la révolution se transmette également à Moscou ! Il suffit de regarder pour voir, c’est comme ça.

Brice Couturier – Ca serait une mauvaise chose pour l’Europe que Vladimir Poutine soit remplacé par un régime démocratique ?

Gabriel Robin – Je ne me prononce pas pour le moment, savoir ce qui est bon, ce qui est pas bon, je cherche à savoir ce qui est et ce qui n’est pas ! Et ce qui est, c’est qu’il y avait un conflit ouvert entre l’Europe de Bruxelles et Moscou. C’est comme ça ! On a choisi, on a choisi cette bagarre !…

Brice Couturier – Oui, ça arrive, on peut avoir des adversaires, on peut avoir des concurrents…

Gabriel Robin – et je dis qu’on a choisi cette bagarre en dépit du bon sens. Car on a ignoré que l’Ukraine était un pays complexe, divisé, que c’était un pays qui était mal gouverné et qui va le rester pendant un certain temps et enfin c’est un pays qui n’est pas entièrement libre de ses mouvements extérieurs, qu’on le veuille ou non…

Brice Couturier – Ah bon ? Souveraineté limitée. Mais attendez, on n’est plus à l’époque du rideau fer, on n’est plus à l’époque de l’Union Soviétique…

Gabriel Robin – Mais mon cher ça existe partout !…

Brice Couturier – la souveraineté limitée c’est terminée…

Gabriel Robin – Nous avons tous des souverainetés limitées, chacun fait…

Brice Couturier – Ah non !

Gabriel Robin – Oui oui ! Chacun ne fait pas n’importe quoi !

Brice Couturier – Nous on peut voter pour ce qu’on veut, les Américains ne vont pas nous envahir le lendemain matin.

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
Ah ah ah… Non, mais j’attends de voir le cocktail CIA + NSA + marchés financiers]

Gabriel Robin – Oui mais l’Ukraine a choisi d’être antirusse…

Brice Couturier – Mais c’est son choix !

Gabriel Robin – Non, c’est son choix, non mais c’est un choix ! Mais bien entendu ! C’est comme si l’Allemagne choisissait d’être antifrançaise, ça serait son choix, ça serait très bien, oui ! En réalité les choses ne se passent pas comme ça et par conséquent, il a fallu un moment donné que les pays européens essaient de mettre le holà à cette affaire. Enfin c’est-à-dire la France, l’Allemagne et…

Brice Couturier – La Pologne…

Gabriel Robin – et la Pologne. Ils sont allés à Kiev, ils ont négocié difficilement un accord, avec Ianoukovytch, et ils n’ont pas plus tôt signé cet accord qu’il a été désavoué par la rue, parce que c’est la rue quand même. Il a été désavoué…

Brice Couturier – Comme en 1789 ?

Gabriel Robin – Oui c’est ça, c’est ça…

Brice Couturier – Nous les français, on a une vielle tradition de soutien aux révolutions démocratiques…

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
c’est clair ! Indochine, Maroc, Algérie etc.]

Gabriel Robin – mais aujourd’hui c’est à peu près la première fois que dans un pays où il y a des élections, il y avait des élections en Ukraine et il avait élu régulièrement le Monsieur Ianoukovytch qu’on trouve si mal, l’Europe avait négocié avec lui pendant des années, ce Monsieur qu’on trouve si tyrannique et…

Marc Voinchet – Mais comme la France a toujours négocié avec des tyrans : Ben Ali, Moubarak…

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
Ianoukovytch un tyran ?????]

Brice Couturier – Avec les tyrans égyptiens et tunisiens pareil…

Marc Voinchet – c’est une vielle tradition française…

Brice Couturier – libyens même !

Gabriel Robin – Oui mais je ne dis pas le contraire. Mais ce qui m’étonne, ce n’est pas qu’on ait négocié avec un tyran, on fait ça tout le temps. Ce qui est nouveau, c’est qu’ayant négocié avec un Monsieur, dès qu’il refuse de signer on dit : ‘’c’est un tyran’’. C’est à partir de ce moment-là seulement qu’on a découvert qu’il était un tyran…

Brice Couturier – Parce qu’il avait été acheté par Poutine qui lui a donné une fortune comme on le sait maintenant, c’est un des hommes les plus riches du coin…

Gabriel Robin – c’est ce que vous appelez acheter ?

Brice Couturier – oui c’est comme ça que Poutine procède vous savez bien…

Gabriel Robin – quand on donne une subvention, vous achetez les pays africains aussi ? Quand vous leur donnez de l’aide ? Qu’est-ce que ça veut dire ça ?

Brice Couturier – Non mais quand on donne de l’argent directement à un chef d’état pour qu’il renonce à une signature qu’il a donné pour qu’il négocie avec quelqu’un d’autre, ça rebute sa population…

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
sérieusement ? Poutine aurait payé Ianoukovytch ? Il a une preuve M. Couturier ou il l’a juste rêvé très fort ? Ou alors Caroline Fourest lui a dit ?]

Gabriel Robin – Mais bientôt nous allons demander aux Russes d’aider l’Ukraine…

Marc Voinchet – Alors attendez, est-ce qu’à ce stade-là, le débat qui est entre vous Gabriel Robin et Brice Couturier, est-ce qu’il n’est pas du fait que vous déplorez peut-être vous, de votre côté Gabriel Robin – et qui sait ? Je ne sais, Régis Debray ?- l’idée qu’il y ait eu, au fond, des définitions de ce qui s’est passé en Ukraine peut-être un peu angéliques et caricaturales où le bon aurait été représenté par Kiev et l’ouest de l’Ukraine et où le mauvais aurait été représenté par soit l’est et éventuellement la Russie avec l’affaire de Crimée ? Et sortie dans la livraison du mois de mai du Débat, un article fort intéressant d’Olha Ostriitchouk, qui est chercheuse postdoctorale à l’université d’Ottawa, et qui fait un très long article et je ne pourrai pas le citer intégralement bien sûr, sur les dessous de la révolution ukrainienne : D’une contestation civique à une guerre identitaire. Et au fond de rappeler que les régions de l’ouest et Kiev ont été surreprésentées au moment de la nomination du nouveau gouvernement approuvé par Maïdan et que la presse a un peu oublié qu’entre temps, ce nouveau gouvernement là et le mouvement initial de Maïdan n’était plus celui représenté aujourd’hui au pouvoir en Ukraine et qu’il n’est pas forcément nécessairement plus progressiste que le camp est et celui représenté par Vladimir Poutine. Est-ce que c’est l’idée qu’on ait au fond peut-être un peu caricaturé la situation qui vous fait vouloir la démentir ou qui vous met en colère, par exemple Régis Debray ? Ou qui vous fait douter de l’action du coup diplomatique européenne et française ?

Régis Debray – Ecoutez, on n’est pas caricaturaux, on est amnésiques. On oublie qu’il y a l’Histoire derrière l’actualité et nous sommes devenus je dirais, des néoconservateurs retardataires puisque l’Amérique du Nord ne l’est plus mais nous, nous voulons en découdre avec le mal. Moi je regrette que Saint Augustin n’ait pas gagné la bataille contre le manichéisme finalement parce que nous, nous sommes le bien et eux c’est le mal, c’est toujours ça, le mal. Alors à force de ne pas prendre l’Histoire, on fait des bourdes. L’histoire de l’Ukraine pour la comprendre :
- 1054, le schisme orthodoxe.
- deuxième élément clé : 1204, le saccage de Constantinople par les latins.
- troisième élément clé : Moscou, c’est la troisième Rome, encore faudrait-il savoir ce que ç’a été que la deuxième Rome, c’est Byzance.

Mais on n’étudie absolument pas Byzance en France. Byzance lutte sur deux fronts : contre l’Islam et contre les occidentaux, ce que fait monsieur Poutine aujourd’hui quoiqu’il en soit.

Je constate que notre diplomatie se fourvoie parce qu’elle est inculte, c’est-à-dire qu’elle n’a aucune idée de l’histoire des civilisations et des religions. Faut-il fermer Sciences Po et l’ENA ? Moi je crois que ce serait bien parce que c’est tout de même une fabrique de gens incultes, dangereux donc à ce titre, on pourrait peut-être simplement réformer. Mais ce que je veux dire, moi il y a une chose qui me frappe, c’est que dans la grande lutte du bien et du mal qu’on appelle la lutte des néoconservateurs et qui est arrivée en France depuis une dizaine d’années, on oublie une chose fondamentale qui est la notion d’intérêt national. Au moment où dans le monde entier, que ce soit en Allemagne, en Amérique, en Inde et en Chine, la première chose dont un diplomate parle c’est : ‘’quel est mon intérêt national ?’’, en France le mot est absolument banni ! Au bénéfice d’un moralisme un peu flou, à la tête du client parce que chacun sait que le moralisme n’a pas un standard unique, qui nous empêche comme disait Gabriel Robin de voir le monde tel qu’il est ; or la diplomatie, cela a à voir avec les réalités. Mais les réalités, on ne veut pas les voir, elles sont comme je l’ai dit historiques, culturelles et je crains…

Marc Voinchet – Mais enfin attendez Régis Debray, les moments de la révolte ou de la révolution de la place Maïdan, c’est quand même aussi une réalité à prendre en compte, un peuple qui décide de descendre dans la rue et de…

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
ils sont formidables sur France Culture. Des centaines de milliers de personnes dans la rue, soit 1 % de la population, cela devient “Les Ukrainiens” et “Le peuple”. Quand ils manifestent à l’Est, ce sont des rebelles, des séparatistes…]

Régis Debray – Bien entendu…

Marc Voinchet – dénoncer une oligarchie qui se sert de…

Régis Debray – bien entendu mais au moment où on prend en compte cette réalité, c’est-à-dire c’est où elle envahit nos écrans et nos éditoriaux, on oublie qu’il y a une ligne Riga-Split qui coupe l’Europe en deux, d’un côté vous avez les orthodoxes uniates depuis… d’un côté vous avez les orthodoxes uniates c’est-à-dire l’espace disons polono-luthérien à l’ouest de l’Ukraine et on oublie complètement qu’il y a aussi un espace orthodoxe à l’est de la ligne Riga-Split qui fend l’Europe en deux et qui explique beaucoup de choses…

Brice Couturier – Donc vous ne voulez pas de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union Européenne alors puisqu’elles sont précisément de ce côté de l’orthodoxie que vous…dont vous nous dites qu’il doit revenir absolument à la Russie ?

Régis Debray – Mais je n’ai pas dit cela ! Je dis simplement que la carte des cultures ne correspond pas mécaniquement à la carte politique, la carte politique est récente, la carte des cultures est archaïque et au moment des grandes crises on voit les archaïsmes revenir. Alors c’est vrai il y a l’OTAN, l’Union Européenne etc… mais il y a aussi des mémoires collectives, il y a aussi des plaques tectoniques. Excusez-moi, on les voit resurgir très nettement, au moment de la Yougoslavie c’était très net. Donc il faut tenir compte de, je dirais, du relief temporel et ne pas voir les choses à plat dans l’actualité…

Marc Voinchet – Est-ce que ça veut dire…

Régis Debray – Il vaudrait mieux d’ailleurs ne pas lire les journaux du tout…

Marc Voinchet – Est-ce qu’en tenir compte cela veut dire, Régis Debray et Gabriel Robin, qu’il faut s’abstenir de toute volonté d’intervention, de tout commentaire ?

Régis Debray – Non ! Mais absolument pas ! Il faut prendre des positions qui ne soient pas des postures ! C’est-à-dire qui n’aient pas pour objectif d’être le bon élève de la classe occidentale et d’avoir de bons articles dans Libération, Le Monde et le Figaro, voilà ! Il faut avoir des positions claires et quand on manie le bâton, avoir un bâton entre les mains au lieu d’avoir une armée de plus en plus squelettique !

Brice Couturier – Et la solidarité ?…

Régis Debray – … Car quand vous agitez le bâton et que vous ne l’appliquez pas, vous vous discréditez tout simplement…

Brice Couturier – Et la solidarité ?…

Régis Debray – donc je note un discrédit croissant de la France dans le monde qui est de plus en plus…

Marc Voinchet – Parce que quoi, Gabriel Robin ? Parce qu’on parle mais qu’on ne fait pas grand-chose finalement ?

Gabriel Robin – Mais quand on s’engage dans une bagarre politique sur le plan international, il faut quand même essayer de mettre dans son jeu les cartes nécessaires pour gagner ! Sinon c’est pas la peine ! Actuellement qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qu’a fait l’Europe ? Elle a fait le jeu de Poutine…

Brice Couturier – En quoi ?

Gabriel Robin – Elle a permis à Poutine de récupérer la Crimée et elle a permis à Poutine de montrer qu’on ne gouverne pas l’Ukraine sans elle. Si vous n’avez pas compris cette démonstration…

Marc Voinchet – On a laissé faire vous voulez dire ?

Gabriel Robin – C’est pas qu’on a laissé faire ! C’est pas qu’on a laissé faire, on a provoqué. On a cru qu’on était les plus forts et on a cru qu’à la moindre sanction Poutine se dégonflerait comme une baudruche…

Brice Couturier – Attendons la fin, vous avez vu ? L’économie russe est en très mauvais état depuis les sanctions…

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
hein ? Les sanctions personnelles contre les 15 Russes ?]

Gabriel Robin – Mais attendons la fin ! Attendez la fin très tranquillement !

Marc Voinchet – Laissez finir Gabriel Robin une seconde.

Gabriel Robin – Mais enfin pour le moment c’est lui ! Et il a toutes les cartes en main. C’est comme ça, il a toutes les cartes en main. La Crimée ? Elle est russe ! Elle est russe, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? La Crimée est russe et il y a une grande différence. On demande toujours ce que va faire Poutine, mais c’est très simple ce que va faire Poutine. Il est clair qu’il fait une grande différence entre la Crimée et le reste, la Crimée il estime que c’est définitif et il ne reviendra pas là-dessus à mon avis. Enfin nous verrons bien si avec vos sanctions vous irez plus loin que ça.

Brice Couturier – Tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à vous est négociable, c’est ça ? Comme au temps de l’Union Soviétique.

Gabriel Robin – Non ce n’est pas ça ! Evidemment on peut caricaturer comme ça, ça ne mène nulle part.

Régis Debray – Non mais écoutez, mon cher Brice Couturier, vous poussez la russophobie un peu loin. Je voudrais signaler ce fait que nous avions beaucoup plus de rapports avec la Russie dans l’ère soviétique que nous n’en avons aujourd’hui. La coopération culturelle et technique, les visites de nos ministres des affaires étrangères à Moscou ont été constantes, que ce soit sous Staline bien entendu mais sous Brejnev aussi. Aujourd’hui on ne peut plus parler avec Poutine. Je regrette que les Allemands et les Français, après avoir été à Kiev, n’aient pas fait un petit saut à Moscou pour voir qu’est-ce que l’autre partie pensait. On se coupe de contacts essentiels pour des raisons…

Marc Voinchet – C’est ce qu’Hubert Védrine rappelle ici souvent ici le vendredi en nous disant qu’il faut toujours parler avec ses ennemis ou ses adversaires au lieu de leur tourner le dos…

Régis Debray – Par définition ! Si on ne peut plus parler qu’avec les gens de notre bord, on ne va pas aller très loin ! Alors fermons le quai d’Orsay une fois pour toute !

Agnès Benassy Quéré – Il est invité, il est invité Vladimir Poutine…

Brice Couturier – Il est invité à l’anniversaire du Débarquement je crois…

Marc Voinchet – Pas en même temps peut-être !

Régis Debray – On peut aussi fermer le quai d’Orsay après tout.

Marc Voinchet – Agnès Benassy Quéré ?

Agnès Benassy Quéré – Je voulais juste rappeler qu’il était invité très bientôt…

Brice Couturier – Aux cérémonies du débarquement oui…

Marc Voinchet – Il sera là.

Agnès Benassy Quéré – Donc je ne crois pas que ce soit coupé.

Régis Debray – C’est la moindre des choses tout de même !

Brice Couturier – Il y avait des soldats russes au Débarquement ? En Normandie ?

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
Je suis vraiment pour la liberté d’expression, mais enfin, il relève aussi de la responsabilité d’une radio de limiter le temps d’antenne aux crétins remplis de haine…]

Gabriel Robin – Mais enfin écoutez, sans Stalingrad et le reste…il faut quand même être sérieux !

Régis Debray – Attendez ! Je crois me souvenir qu’il y a eu vingt millions de morts en Union Soviétique et que c’est l’Armée Rouge qui a brisé la colonne vertébrale de la Wehrmacht ! Je crois me souvenir mais avant cela se disait, cela ne se dit plus. Excusez-moi c’est un fait !

Marc Voinchet – Gabriel Robin, pour essayer de comprendre ce que vous appelez au fond, ce qui serait quoi, une panne de la diplomatie française ?

Gabriel Robin – Non ce n’est pas une panne…

Marc Voinchet – C’est un manque d’idée ?…

Gabriel Robin – Non, c’est un excès. Le point de départ, il y a la politique de voisinage qui est menée par la superstructure européenne de Bruxelles. Elle a concerné la Géorgie avec le succès qu’on a vu et elle a exactement le même effet en Ukraine. Pour quel intérêt proprement européen ? Est-ce que l’Europe a intérêt à étendre sa zone d’union douanière jusqu’en Géorgie ou jusqu’en Ukraine ? Moi je n’en suis pas persuadé, en tout cas je ne crois pas cela vaille une guerre et d’ailleurs on ne la fera pas ! Par conséquent il faut savoir ce qu’on veut ! On ne peut pas à la fois vouloir aller gratter un peu la queue de l’ours et puis s’imaginer que l’ours de réagira pas. Jusque-là, la Crimée était restée ukrainienne, elle aurait pu le rester assez longtemps à condition que l’Ukraine se tienne tranquille, qu’elle fasse comme la Finlande a fait pendant longtemps à l’ombre de Moscou. Mais si elle veut jouer au petit soldat et bien elle va trouver un plus grand soldat qu’elle et puis c’est tout ! Alors on peut trouver que c’est malheureux, que c’est triste pour les grands principes etc…

Régis Debray – Que c’est immoral surtout…

Gabriel Robin – Que c’est immoral mais enfin c’est comme ça, c’est le résultat.

Marc Voinchet – Est-ce qu’au fond l’idée c’est de dire que le destin des Ukrainiens et du peuple ukrainien n’appartient qu’à lui et à lui-seul et qu’on y est pour rien dans cette histoire ?

Gabriel Robin – Non, on peut aider, on doit aider…

Marc Voinchet – C’est un peu…je me fais le porte-parole, je cite l’article tout bonnement d’Olha Ostriitchouk dans le débat sur les dessous de la révolution ukrainienne qui dit : ‘’Beaucoup de questions sans réponses, aujourd’hui l’administration postrévolutionnaire est très sélective, elle préserve les partis soigneusement au pouvoir et les oligarques qui ont rapidement déclaré à nouveau leur loyauté au pouvoir. Les intimidations dont sont victimes tous ceux qui n’adhèrent pas aux valeurs nationalistes sont une nouvelle façon de prôner la liberté d’expression.’’, dit-elle ironiquement, ‘’Les censures imposées aux médias accusés de velléités séparatistes suivies du blocage des chaines russes ne produiront-elles pas un effet inverse ? Bref, autant de questions sans réponses. La vérité…’’, dit Olha Ostriitchouk dans le Débat, ‘’c’est qu’au fond, le grand perdant de cette crise c’est le peuple ukrainien lui-même dans toute sa diversité, manipulé, trompé par ceux qui le dirigent sans le représenter vraiment, dévorés par leurs ambitions politiques et ayant une mémoire courte de leur promesses. Le défi de l’avenir ukrainien c’est d’abord un défi interne.’’

Régis Debray – Elle a tout à fait raison. Cessons de d’idéaliser nos amis et de diaboliser nos adversaires, enfin les amis et les adversaires du moment. Il est évident qu’il faut laisser les Ukrainiens régler leurs affaires, on peut les aider…

Brice Couturier – Ils viennent de voter. Est-ce que vous reconnaissez le vote qui vient d’avoir lieu dimanche dernier ?

Régis Debray – il y a une…

Marc Voinchet – Ils viennent de voter cela dit pour un oligarque qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’ancien.

Brice Couturier – Oui mais enfin ils ont voté.

Gabriel Robin – Oui mais ils avaient voté pour Ianoukovytch aussi.

Régis Debray – Oui, on remplace un oligarque par un autre, bon très bien ! Et puis il y a des conjonctures…

Marc Voinchet – Cela dit c’est le roi du chocolat, c’est déjà un bon point…

Régis Debray – Mais écoutez, il y a une seule phrase de Mao Zedong qui mérite référence parce qu’elle est fondamentale : ‘’La cause externe ne peut agir que par l’intermédiaire de la cause interne’’. C’est ce que les néoconservateurs américains et aujourd’hui français ne peuvent pas comprendre. On ne peut pas faire le bonheur des peuples malgré eux et on ne peut pas parachuter la démocratie avec des missiles. Cessons d’intervenir partout…

Brice Couturier – Ce n’est pas ce que nous faisons franchement !

Régis Debray – Cessons d’intervenir partout, cessons la guerre en Afghanistan, on a vu ce que ça a donné, la guerre en Irak, on a vu ce que ça a donné, la guerre en Libye, on voit ce que ça donne, attendons ce qui va se passer au Mali mais cessons de nous croire les maîtres du monde. Nous ne sommes pas les maîtres du monde et nous devons au moins respecter l’identité des autres au lieu de leur imposer la nôtre. Essayons un peu d’être à l’écoute, essayons un peu de développer une carte du monde, essayons surtout de la mettre en relief, tout ça n’est pas né il y a dix ans, n’est pas né à la révolution d’octobre, tout ça remonte à deux mille ans : opposition des Carolingiens et des Byzantins. Je m’excuse, c’est sur cette ligne qu’on se bat encore.

Marc Voinchet – Agnès Benassy Quéré je vous vois bouillir Agnès et ne pas intervenir bon sang de bois !

Régis Debray – Mais parce que vous êtes des militants, c’est très bien d’être des militants mais essayez de…

Marc Voinchet – Parce que vous n’êtes pas un militant vous peut-être Régis Debray ?…

Brice Couturier – Vous l’avez été ! Vous l’avez été à l’époque où vous étiez solidaire des peuples opprimés !…

Régis Debray – Je ne le suis plus !…

Brice Couturier – Vous étiez solidaire des peuples opprimés !…

Régis Debray – J’essaie de voir le monde tel qu’il est…

Marc Voinchet – Vous l’avez été et vous ne l’êtes plus vous dites ?

Régis Debray – Je ne suis plus militant d’une cause, la seule cause qui m’importe c’est la cause des peuples, si vous voulez mais je veux d’abord savoir qui ils sont, d’où ils viennent, quelle langue ils parlent… Vous avez mentionné la Lettre Internationale, formidable ! Son directeur actuel est un ami, j’y écris avec bonheur. Problème ? Vous avez parlé de spiritualité commune. Problème de l’Europe ? Quelle est la langue commune ? C’est ça le problème. Ah ?! C’est un point clé ?! La langue c’est la traduction…

Brice Couturier – Les Suisses non plus n’en ont pas mais ils ont une forte identité, vous avez vu ?

Régis Debray – D’accord ! Et donc je regrette qu’il n’y ait plus de… Mais il faut bien voir que si l’Europe parle anglais, elle n’est plus vraiment européenne, voilà.

Marc Voinchet – Un dernier mot, excusez-moi mais on arrive au bout Agnès Benassy Quéré.

Agnès Benassy Quéré – Moi je ne vois pas l’Union Européenne comme ça, l’Union Européenne justement n’a pas de pouvoir, n’a pas de volonté expansionniste. Au contraire, elle répond à des demandes, l’Ukraine a demandé un accord d’association parce que l’Ukraine ne peut pas rentrer dans l’Union Européenne et on fait la même chose avec la Turquie, on fait la même chose avec plein d’autres pays. Et quand on va au Mali, c’est quand même plutôt sur demande que par volonté d’imposer quoi que ce soit et donc je ne rentre pas vraiment dans cette logique-là, que vous décrivez.

[Commentaire d’Olivier Berruyer :
non, on est passé de 6 pays à 28 + négociations avec la Turquie + Ukraine en vue, MAIS QUI pourrait y voir un expansionnisme ?]

Marc Voinchet – Alors pour terminer, le dernier mot Gabriel Robin et Régis Debray, Gabriel Robin ?

Gabriel Robin – Mais cet échec de l’Europe en Ukraine en dit long sur ce que c’est que l’Europe. L’Europe c’est une énorme baudruche, bien gonflée, bien brillante et qui se dit : ‘’Moi je vais apporter les bienfaits de la civilisation à tout mon entourage, je vais aider, je vais gouverner, je vais pacifier etc…’’, et qui croit qu’elle peut tout faire. Et puis quand elle tombe sur un bec, elle s’aperçoit qu’elle est impuissante. C’est une espèce de mélange de puissance et d’impuissance qui est ultra dangereux, c’est un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Marc Voinchet – Régis Debray, deux petits mots ?

Régis Debray – C’est vrai que mettre cinq mois pour décider d’envoyer mille hommes au Mali n’est pas vraiment la preuve d’un acteur de l’Histoire mais de quelque chose qui est en train de sortir de l’Histoire doucement. Peut-être y rentrera-t-elle un jour mais il faut d’abord se défaire de l’Union Européenne telle qu’elle est.

Olivier Berruyer
5 juin 2014