écrits politiques

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Par Nicolas Bourgoin
Canal + se vautre (une nouvelle fois) dans l’anti-dieudonnisme primaire

Né au milieu des années 1980, Canal + s’est vite fait une spécialité dans la diffusion de films pornos, l’humour décalé et le ton provocateur. Une chaîne 100 % gauche des valeurs où les journalistes jeunes et sympas arrivent sur les plateaux de télé en tenue décontractée. Jeans, t-shirts et attitude cool de rigueur.

Mais derrière la branchitude et une certaine liberté de ton – « l’esprit canal », mélange savant de vulgarité assumée et de bien-pensance boboïste – se cache une allégeance bien orthodoxe à la pensée unique. On atteint vite les limites de la liberté d’expression sur la chaîne où tout paraît permis. Prétendument subversive, elle n’est en réalité que platement transgressive. Rien d’étonnant à ce qu’elle prenne aujourd’hui pour cible celui qui incarne l’opposition radicale et sans concession au système : l’humoriste Dieudonné. A venir, la diffusion d’une longue enquête d’investigation, forcément à charge, sur la « Galaxie Dieudonné » le 9 Juin prochain. Une de plus… Mais pourquoi donc tant de haine ?

Créée au début du premier septennat de Mitterrand, en 1984, Canal + est emblématique de la mutation de la gauche, passée de la défense de la classe ouvrière aux combats sociétaux. L’antiracisme et la lutte contre les « discriminations » en lieu et place de la défense des travailleurs, la stigmatisation et le « diviser pour mieux régner » en lieu et place de la lutte contre les inégalités sociales. Le tournant de la rigueur de 1983 était déjà passé par là… Le moindre paradoxe n’est pas celui qui conduisit un pouvoir « socialiste » à lancer une chaîne cryptée… donc payante et inaccessible aux vrais prolétaires. Une chaîne pour le public-cible des classes moyennes – celles que le gouvernement mitterrandien chérissait dans la décennie des « années fric » – séduit par SOS Racisme, les campagnes humanitaires, les Restos du coeur, le combat contre le FN et méprisant, comme il se doit, les "ploucs" et leurs idées réactionnaires. Le cadre sup’ pouvait prendre une micro-revanche sur ses soucis quotidiens, entre un match de foot et un film X, devant les facéties des guignols de l’info, de Coluche 1 faux ou les saillies des Nuls en y trouvant une impertinence à la fois transgressive et convenue, dans les limites tolérées par le système politico-médiatique. Un anticonformisme conforme, si l’on peut dire.

Mais cette pseudo-liberté critique a fait long feu. Le ton décalé ne parvient plus à masquer une partialité pro-système de plus en plus flagrante et une complaisance totale à l’égard des puissants. Signe de sa conversion à la pensée unique, Canal + se complaît dans la diabolisation outrancière de Dieudonné, ligne éditoriale dont il ne dévie pas d’un pouce. Et déjà au moment des élections européennes de 2009, quand celui-ci s’était présenté sur une liste antisioniste. Toute critique d’Israël étant forcément synonyme d’antisémitisme du point de vue des journalistes et politiques présents sur le plateau, il s’agissait uniquement de s’interroger sur les moyens d’interdire cette liste. Plus près de nous, la chaîne cryptée s’est faite le relais actif de la campagne anti-Dieudonné de l’automne-hiver 2013-2014. On se souvient (peut-être) de cette diatribe (inter)minable et ordurière de Myriam Leroy fin novembre 2013, dans laquelle celle-ci invitait l’humoriste à « s’insérer dans le rectum son avis sur la Shoah, sur la démocratie, sur les médias et sur le complot judéo-maçonnique mondial »… Yvan Attal, invité du Grand Journal le 9 janvier dernier, y est allé de sa paranoïa en se posant en victime de « la France de Dieudonné » forcément raciste et antisémite. Raciste, Dieudonné ? alors que penser des sketchs de Gaspard Proust dans lesquels celui-ci s’en prend aux pays musulmans ou se moque des palestiniens sans d’ailleurs susciter d’autres réactions de la part des invités qu’une hilarité complice… Le contraste est frappant quand on considère la cabale délirante lancée par Europe-Israël contre l’humoriste de Canal + Sébastien Thoen, rappelé à l’ordre et sommé de s’expliquer pour des propos qui égratignent les juifs, et qui n’obtient son salut qu’en s’en prenant lâchement à Dieudonné et à Alain Soral. Scène pour le moins pitoyable où le voit l’humoriste s’aplatir littéralement devant le lobby sioniste… Elie Semoun, à qui Sébastien Thoen s’adressait dans l’émission en question, est en revanche totalement à l’aise dans son sketch où il joue (assez mal) le rôle de l’ami trahi (par Dieudonné). Sioniste, de gauche et sachant manier l’humour consensuel, il eût été surprenant qu’il en soit autrement…

Il faut avouer qu’en revanche le monde musulman n’a pas bonne presse à Canal + où un simple t-shirt portant l’inscription « Palestine » provoque la gêne parmi les invités et conduit finalement à la censure pure et simple. Canal +, pour qui l’euroscepticisme ne peut être que synonyme d’extrême-droite et la dissidence forcément antisémite, qui a fait de la défense du système et de la pensée unique son fond de commerce ne pouvait qu’être en première ligne dans le combat contre Dieudonné, leur pourfendeur. Cet acharnement quasi-hystérique nous vaut quelques scènes surréalistes, comme celle du 28 janvier dernier quand le plateau de l’émission Le supplément de Canal + s’est transformé pour l’occasion en tribunal où comparaissait Frédéric Taddéi venu défendre son émission menacée de relégation et devant se justifier sur le choix de ses invités face à Maïté Biraben dans le rôle du procureur. Exit l’esprit canal et place à l’inquisition. Une dizaine de jours plus tôt, dans cette même émission avait été diffusé un reportage, évidemment à charge, intitulé Alain Soral : l’idéologue de Dieudonné. Alain Soral, bête noire des médias en général et de Canal + en particulier, que Thierry Ardisson se fait un honneur de ne jamais inviter… Eric Naulleau était donc venu seul présenter son livre Dialogues désaccordés co-écrit avec lui, dans l’émission Salut les terriens du 19 octobre dernier où ont été battus les records de veulerie politique et de malhonnêteté intellectuelle. Son titre annonçait d’ailleurs la couleur : Naulleau joue avec le feu. Mis sur la sellette par Ardisson et Moscovici qui lui reprochaient d’avoir cautionné les propos d’Alain Soral (tout en lui apportant la contradiction, chercher l’erreur), Eric Naulleau s’en est sorti en soulignant les abîmes qui le séparent de son co-auteur tout en abondant dans le sens de ses interlocuteurs. On a vu procédé plus élégant…

Pourquoi tant de haine ? Sans doute parce que Canal +, en perte de vitesse, veut se refaire une place dans les medias en se payant la tête de l’humoriste et de ses proches, exercice devenu véritable "figure imposée" d’allégeance au système. Mais surtout parce que Dieudonné incarne l’exact opposé de « l’esprit canal » en plaçant la gauche face à ses contradictions et ses hypocrisies. Au combat dévoyé de l’antiracisme institutionnel, il oppose avec courage et constance la dénonciation de l’apartheid sioniste, à l’égalitarisme de façade des socialistes, leur politique du poids/deux mesures, à la compassion mémorielle à géométrie (in)variable, les crimes du colonialisme et de l’esclavagisme, à la fausse impertinence, la transgression du vrai tabou de notre société : celui de Shoah et de son exploitation politicienne.

Une « enquête » de plus sur l’inquiétante (pour qui ?) "nébuleuse Dieudonné" où celui-ci se voit qualifié de "diable de la République" (version modernisée et sulfureuse du "fou du Roi" ?). A force d’user la corde elle finira bien par casser… cette chasse à l’homme menée pour le compte de l’establishment risque fort de conduire à l’inverse des résultats escomptés en suscitant une sympathie populaire croissante pour celui qui a le courage de narguer le système politico-médiatique avec autant d’aplomb et de vraie impertinence et quoi qu’il lui en coûte. Ce retournement est déjà bien engagé si l’on en juge par le nombre de quenelles irrévérencieuses qui fleurissent un peu partout, jusque sur le plateau du Petit Journal. La chaîne cryptée, contrairement à Dieudonné, ne fait plus rire personne et l’esprit canal (historique) est bien mort. La création d’une nouvelle chaîne baptisée Quenelle + annoncée par Dieudonné, qui a en même temps lancé un appel à se désabonner de la chaîne cryptée, ne pourra qu’achever de l’enterrer.

Nicolas Bourgoin - 29 mai 2014


Nicolas Bourgoin, né à Paris, est démographe, docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et enseignant-chercheur. Il est l’auteur de trois ouvrages : La révolution sécuritaire (1976-2012) aux Éditions Champ Social (2013), Le suicide en prison (Paris, L’Harmattan, 1994) et Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social (Paris, L’Harmattan, 2008).