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Dieudonné : « J’ai cette chance de savoir transformer l’adversité en création »

L’humoriste Dieudonné, allait de succès en succès ; jusqu’à ce jour de décembre 2003 où il a prononcé le mot de trop : « Israël ». Le lobby pro israélien s’est déchaîné contre lui. « La vérité finira par se savoir » nous avait-il confié alors. Mais pour que cette « vérité » finisse par émerger il n’en a pas moins trimé. Cet entretien inédit, daté de 2005, permet de mesurer le chemin parcouru.

Silvia Cattori : Interdit de spectacle, attaqué en justice, agressé physiquement [1], comment vivez-vous cela ?

Dieudonné : On s’habitue à tout. L’essentiel pour moi est de pouvoir continuer de jouer mes spectacles.

Silvia Cattori : Toute personnalité publique accusée « d’antisémitisme » disparait généralement. Vous êtes toujours là ?!

Dieudonné : Je pense qu’ils ont fait une erreur avec moi. Les tribunaux l’ont dit, je n’ai jamais incité à la haine ni à la violence. Tout mon travail aurait pu passer inaperçu s’il n’y avait pas eu cette réaction démesurée de la part de ces mouvements ultra communautaires [ndlr : CRIF, LICRA, UEJF] qui m’ont violemment agressé. Ils se sont excités sur un leurre. Mon image médiatique n’était que le simple résultat de mon travail d’humoriste. Je n’étais pas un personnage politique au départ, je ne représentais aucun danger. Finalement, par leurs réactions disproportionnées ils ont mis en lumière tout ce qui demeurait caché : tout l’arsenal médiatique quasi militaire dont ils disposent. Ils m’ont jeté dans une guerre. Les médias de ce pays n’avaient pas à se faire l’écho avec cette violence et cette ampleur partant d’un simple sketch d’humoriste. Je me suis trouvé en présence d’une bestialité féroce. Je pensais sincèrement qu’il existait une intelligence.

Silvia Cattori : Que ressentez-vous à l’égard des journalistes qui alimentent cette « violence » ?

Dieudonné : Les médias sont allés trop loin. Je n’ai fait que caricaturer un colon juif. Cela dit, nombre de médias sont des entreprises privées. On ne peut pas reprocher aux journalistes de participer à des campagnes de haine contre Dieudonné dans la mesure où celui-ci ne correspond pas à la ligne éditoriale du responsable de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. C’est une histoire de gros sous. Pour moi, les seuls médias libres c’est Internet. Ce qui est regrettable est que, dans le service public, on en arrive par exemple, à ce que le présentateur Marc Olivier Fogiel, qui m’a vilipendé au lendemain d’un sketch, ait des comportements racistes.

De cette confrontation directe avec le « sionisme » suite à mon sketch sur un colon juif israélien j’ai tiré le spectacle « Mes excuses ». Aujourd’hui je suis passé à un autre sujet : la laïcité. C’est d’elle que je parle dans « 1905 ». De la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui consiste à laisser dans la sphère privée des organisations comme le CRIF, l’église catholique, les mouvements musulmans.

Silvia Cattori : Ne plus pouvoir jouer que dans vôtre théâtre de la Main d’or cela suffit ?

Dieudonné : C’est vraiment un plaisir de jouer dans une petite salle de 250 places. C’est le boulot que j’aime : être le soir sur scène et jouer mon spectacle. Au-delà, on quitte une dimension humaine, on va vers quelque chose qui vous dépasse. C’est l’industrie des médias, ce n’est pas mon métier. Pouvoir m’exprimer dans mon théâtre me donne une liberté, me permet un style de création différent. Mais il m’arrive aussi de jouer devant des milliers de spectateurs : je vais jouer le 22 décembre au Zénith mon dernier spectacle « 1905 ».

Silvia Cattori : Pensez-vous pouvoir retrouver une vie normale sous peu ?

Dieudonné : Je pense que je vais rester encore pendant un certains temps cette sorte de diable que l’on a fabriqué.

Silvia Cattori : A votre sortie du tribunal le 7 septembre vous avez affirmé votre désir de tourner la page. Mais vos détracteurs veulent-ils la tourner ?

Dieudonné : J’ai dit en effet vouloir passer à autre chose ! Leur réponse a été une lettre recommandée ce matin : la LICRA, et autres organisations sectaires, n’ont pas accepté la décision du tribunal et se pourvoient en cassation.

Silvia Cattori : Jusqu’où vont-ils aller ?

Dieudonné : Je pense qu’au travers des lynchages qu’ils organisent, ils veulent montrer à tous les noirs, que ceux-ci doivent rester à leur place, et que, s’ils se hasardent à marcher sur des chemins interdits, ils seront brimés. Malcom x, Martin Luther King, Lumumba, Jean-Marie Jibao, n’ont-ils pas démontré que, quand la libre pensée est exprimée par un homme à la peau noire, il devient un homme à abattre ?

Silvia Cattori : Comptez-vous poursuivre en justice ceux qui vous ont calomnié ?

Dieudonné : Oui. Je vais notamment m’attaquer à ceux qui se sont répandus en calomnies qui m’ont porté gravement atteinte ; comme le site de Proche-Orient Info qui a divulgué des fausses informations, ou Bernard-Henri Lévy qui m’a traité de « fils de Le Pen » et a qualifié mon public « d’antisémite ».

Silvia Cattori : Quand vous avez parlé de « pornographie mémorielle », cela vous a valu des attaques d’une extrême violence ! Pourquoi avoir dit cela ?

Dieudonné : Oui c’était très violent. Sachez que je n’ai jamais placé ces deux mots dans le contexte que les « animateurs » du site Proche-Orient info lui ont attribué. Je n’ai jamais associé la Shoah à la pornographie. C’était une manipulation de leur part.

Silvia Cattori : Il y a plus d’une dizaine de procès intentés contre vous (depuis début 2004). Cela doit être très éprouvant ?

Dieudonné : Oui, d’autant plus éprouvant que je suis présent lors de chaque audience.

Silvia Cattori : Vont-ils réussir à vous ruiner ?

Dieudonné : Si, mais comme je n’ai pas un grand niveau de vie, c’est supportable.

Silvia Cattori : Tout cela doit peser sur votre famille ?

Dieudonné : Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas eu de répercussions négatives. En particulier à la suite de l’agression que j’ai subie de la part de quatre soldats israéliens, en Martinique, en mars 2005 (5). Cela a été dur. Mais j’ai cette chance de savoir transformer l’adversité en création. Je crois pouvoir d’ores et déjà dire que c’est une expérience qu’il vaut la peine d’être vécue !

Silvia Cattori : A ce point ?

Dieudonné : Oui. J’ai fait là une expérience humainement passionnante ! Ce n’est pas courant pour un comique de se trouver dans une pareille situation et de pouvoir ensuite dédramatiser, transcender par le rire tant de gravité !

Silvia Cattori : Vous avez un tempérament combatif !

Dieudonné : Tous les combats pour la justice me passionnent.

Silvia Cattori : Faut-il s’attendre à des affrontements ?

Dieudonné : Je pense que l’affrontement a déjà commencé. Il a été provoqué, dès avril 2004, par les déclarations négrophobes d’Alain Finkielkraut, « notre » théoricien de « l’islamophobie » qui parle de race blanche, de « peuple élu » ; il stigmatise la population noire, qualifie les Antillais d’assistés qui filent un mauvais « coton » idéologique.

Silvia Cattori : Votre couleur de peau a donc bien sa part dans la violence qui vous frappe. Non pas uniquement votre résistance à Israël et à ses alliés en France ?

Dieudonné : Je crois que tout est parti du dossier de la traite négrière, de mon idée de réaliser un film sur le Code Noir. Dès que l’on ouvre ce dossier, c’est là que les problèmes commencent, car on touche à la responsabilité de chacun. Suite au débat que j’ai soulevé, le journaliste du Nouvel Observateur Askolovitch, a fait un dossier où il nie la participation de trafiquants juifs dans ce commerce. Or les instances juives n’ont pas l’intention de laisser ternir leur réputation de « peuple élu » en reconnaissant la vérité historique ; ils préfèrent réécrire l’histoire. Des livres, comme celui de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, minimisent la traite négrière. Les articles de journalistes comme Askolovitch la nient. Or aujourd’hui, avec Internet, il n’est plus possible d’étouffer la vérité.

Silvia Cattori : Bernard-Henri Lévy appelle à boycotter vos spectacles. Cela revient à vous affamer...

Dieudonné : Pourquoi devrait-il m’interdire de travailler parce que je soutiens la cause des Palestiniens ? Moi je n’ai pas empêché BHL, Bernard Kouchner, et toute cette équipe de soi-disant « sauveurs » qui tire en grande partie sa popularité du malheur des gens, d’aller par exemple se faire prendre en photo au milieu des Somaliens ?! Je leur laisse cette liberté là de faire carrière et business sur la souffrance des Algériens, des Africains, des Afghans. Je ne vois pas pourquoi, moi, je ne pourrais pas parler de la souffrance des Palestiniens et me sentir humainement proche de leur combat. Les Palestiniens se battent pour la justice et la liberté. Je les trouve courageux : c’est mon droit de me sentir plus proche des familles des résistants que des familles des soldats israéliens qui détruisent les maisons et les vies palestiniennes.

Silvia Cattori : La classe politique, toutes tendances confondues, soutien ceux qui vous poursuivent. Seul contre tous ?

Dieudonné : Les Français ont dit NON à toute cette classe politique là. Et c’est rassurant ! Un NON qui n’était pas un refus de l’Europe. Mais clairement un NON à l’adresse de Jacques Chirac, de François Hollande, de Julien Dray, etc. Tous ces personnages qui, dans les partis et les associations, m’ont accusé d’antisémitisme, montrent qu’il n’y a plus aucune moralité ni aucune éthique de leur part.

Silvia Cattori : Vous résistez. Mais à quel prix ?!

Dieudonné : Je suis arrivé à un moment de mon parcours où il faut savoir se déterminer par rapport à une éthique. La liberté de chaque individu est d’évoluer dans un univers de vérité. On ne peut pas vivre dans le mensonge. Ce serait une vie étouffante. La mort est préférable à une vie de rampants. L’histoire du peuple dont je suis issu - même si je ne suis pas communautaire et je rêve d’universalité et d’humanisme - a été travestie. Je veux simplement offrir à mes semblables un message de justice et leur dire : « Soyons conscients de nos droits ».

Silvia Cattori : Interdit de médias, les Français qui vous admiraient hier ne savent plus ce que vous êtes devenu !

Dieudonné : C’est vrai, une grande partie des gens ne savent pas ce qui s’est passé. Mais je fais mon boulot. Ce qui a changé est que je ne suis plus dans « l’industrie » du spectacle. Je pense être plus en contact avec la réalité que ceux qui sont à l’intérieur du système et qui, finalement, sont paralysés par les intérêts croisés des uns et des autres. C’est une histoire, un parcours qui me convient ; le résultat d’une volonté artistique. Je vis de ce travail, encore aujourd’hui, tout à fait convenablement. Je nourris mes enfants. Je suis libre de tout intermédiaire, dans une relation directe avec le public. Je n’ai plus d’intermédiaires parce que je joue dans mon théâtre. Que puis-je demander de plus ? De passer chez Drucker ou Ardisson ? En général, l’industrie médiatique nuit à la créativité artistique. Moins on est en contact avec le milieu du show business, et mieux on peut accomplir son travail d’acteur et d’interprète. Mon style est celui de la libre pensée. De n’avoir pas d’intermédiaires entre moi et le public, me permet une création qui n’est influencée que par mon propre regard.

Silvia Cattori : Cette instrumentalisation ne finira-t-elle pas par retourner tout le monde contre vous ?

Dieudonné : Je sais très bien ce à quoi vous vous référez. La supercherie et les mensonges sur lesquels les partis se fondent pour instrumentaliser les causes qu’ils prétendent défendre ! Ce fut une de mes premières découvertes et une grande déception. Ces instrumentalisations ont commencé dans les années quatre-vingt quand le parti socialiste a créé l’association SOS racisme dans le but de récupérer les « beurs ». L’ex-trotskiste Julien Dray qui en a été le fondateur, Harlem Désir l’animateur, se sont servis de la souffrance des immigrés pour faire carrière mais ils n’ont bien sûr pas combattu le racisme anti-arabe. SOS racisme, comme les associations antiracistes qui ont été créées depuis lors, ont été détournées de leur but et se sont transformées en officines racistes. Elles ont fait la chasse à de faux « antisémites ». Tout cela a créé un très mauvais climat. C’est pourquoi je porte, aujourd’hui, un regard extrêmement critique sur ces partis et groupuscules de gauche qui instrumentalisent les causes à des fins de mainmise politique. Je suis un homme de gauche ; mais de cette gauche qui a un jour envisagé la loi de séparation des églises et de l’Etat ; de cette gauche des lumières qui avait une réflexion universaliste moderne. Or, quand on voit la gauche, en France, apporter son soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël, aller en Israël faire l’éloge du mur de Sharon, on ne peut que la renier. Je suis lucide. Je connais toutes ces pratiques. Je pense qu’il leur sera difficile d’instrumentaliser l’opinion des gens qui me soutiennent.

Silvia Cattori : Vos détracteurs n’ont-ils pas réussi à vous rendre communautariste malgré vous ?

Dieudonné : Je suis un homme noir, je ne me ferais ni défriser ni blanchir la peau. Il se trouve que les noirs sont ceux qui sont le plus exposés au racisme et aux humiliations. Le fait d’être métis, d’être noir, me donne une responsabilité par rapport à cette injustice. Il ne s’agit pas d’un combat communautaire. Tous les combats pour la justice me touchent. Les OGRES [ndlr : un blog tenu par de vrais et de faux fans de Dieudonné maintenant disparu] sont basés sur l’ouverture entre gens de toutes origines et croyances. C’est l’antithèse de ce que les groupes sectaires ont toujours cherché à propager. Nous voulons croire en ce projet égalitaire. Or, qu’avons-nous découvert au travers de cette confrontation ? Le discours de haine, arrogant, cynique, de ce communautarisme religieux du CRIF, va à l’inverse du rêve républicain qui est le mien. Je ne suis qu’un humoriste dont la vocation c’est de dédramatiser. Il faudrait que ceux qui me font des procès n’y voient rien d’autre que cela. C’était inouï de voir Sarkozy me placer, lui aussi, au centre du débat, alors que je n’avais fait qu’un simple sketch. Ce fait même prouve bien que l’humour est la seule façon qui reste pour aborder l’irrationnel. Je suis un comique et au milieu de ce chaos la seule chose que je veux est de faire rire les gens.

Silvia Cattori : Vous êtes encore là malgré tout...

Dieudonné : J’ai mûri, là, au travers. Je pense que tout ce temps était nécessaire, c’était un temps d’apprentissage. Là, je serai bientôt prêt.

Entretien réalisé le 13 septembre 2005


Voir également :

Genèse d’un lynchage médiatique (27 FÉVRIER 2006)
http://www.silviacattori.net/article275.html

Qui veut la peau de Dieudonné (15 MAI 2005)
http://www.silviacattori.net/article1160.html

Si vous aimez rire, « 1905 » c’est du délire ! (12 MAI 2005 )
http://www.silviacattori.net/article1159.html

Dieudonné le flamboyant (25 NOVEMBRE 2004)
http://www.silviacattori.net/article1161.html

Silvia Cattori



[1En mars 2005 quatre individus entrés en Martinique avec des passeports israéliens se sont jetés sur Dieudonné le frappant à la mâchoire et à la cage thoracique.