écrits politiques

Français    English    Italiano    Español    Deutsch    عربي    русский    Português

Par Hans Christoph von Sponeck
OTAN – quo vadis ?

Les droits de l’homme, les engagements militaires, les intérêts géopolitiques, voilà trois mots clés de l’OTAN, qui nous amènent à trois questions importantes.
Les droits de l’homme pour qui ? Les engagements militaires de qui et sur ordre de qui ? S’agit-t-il d’intérêts géopolitiques ou de décisions de politique globale ?

30 janvier 2014

L’OTAN de 1949

Le Traité de Washington de 1949 (Traité de l’Atlantique Nord signé à Washington), exige le règlement « pacifique » des conflits et déclare que les intérêts géopolitiques de l’Alliance transatlantique ne doivent pas dépasser les frontières nationales ! Le Traité de l’OTAN précise que les Etats membres réaffirment leur foi dans les buts et les principes des Nations Unies (la Charte des Nations Unies) et qu’ils acceptent la subsidiarité. Cela veut dire que les Droits de l’homme sont valables pour tous, les intérêts géopolitiques des Etats membres se limitent à leur territoire et les engagements militaires ne sont autorisés que lorsqu’il s’agit du territoire de l’OTAN. Une réserve a cependant déjà existé à l’époque : les Etats membres de l’OTAN doivent décider si le Conseil de Sécurité de l’ONU a pris les « bonnes » décisions. Si, d’après leur opinion, ceci n’était pas le cas, ils agiraient d’après l’article 5 du Traité de l’OTAN – sans référence à l’article 51 de la Charte de l’ONU. C’est là qu’on comprend que la direction de l’OTAN pensait dès le début comme elle agit aujourd’hui ! Ainsi le droit de monopole du Conseil de Sécurité des Nations Unies a été mis en question à l’époque et actuellement, car c’est lui seul qui a le droit de décider s’il faut intervenir avec des moyens militaires ou avec d’autres moyens.

L’OTAN de 2013

Dans les 64 ans depuis la fondation de l’OTAN les relations internationales ont considérablement changé. L’OTAN des douze Etats de 1949 est devenu, en 2013, une OTAN de 28 Etats. Pendant ces années d’hyper-réseautage, l’OTAN s’est construite de plus en plus comme une institution mondiale de politique de sécurité. « Nous sommes disposés à développer dialogue politique et coopération pratique avec tout pays ou organisation compétente à travers le monde qui partage notre intérêt pour des relations internationales pacifiques », peut-on lire dans le concept stratégique de l’OTAN de 2010.
L’OTAN continue à insister sur le fait qu’il fait partie de ses tâches de s’occuper de toutes les grandes questions suprarégionales, de la sécurité militaire et humaine (!). La première priorité dans ce sens-là appartient à la sécurité énergétique. Le sénateur américain Lugar franchit une étape supplémentaire en déclarant que d’après l’article 5 des statuts de l’OTAN, ce dernier pouvait intervenir militairement lorsque pour un Etat membre l’accès aux sources énergétiques était menacé n’importe où dans le monde. Si jamais cela arrivait, il s’agirait d’une violation sérieuse du droit international.
De la subsidiarité de l’OTAN dans le cadre des Nations Unies, il n’en reste que peu en 2013 ! Par contre, un réseau de 28 Etats a été constitué, associés mondialement par le « Partenariat pour la Paix » (Partnerships for Peace/PfP). Une multitude d’anciens Etats de l’URSS y sont rattachés. L’initiative du Dialogue méditerranéen vise la coopération avec les Etats riverains de la Méditerranée. Grâce à l’« Initiative de coopération d’Istanbul » les Etats de l’Afrique du Nord, du Proche- et du Moyen-Orient sont rattachés à l’agenda de l’OTAN. Des liens particuliers existent entre l’OTAN et les Etats du Golfe, y compris le Yémen. Une collaboration étroite existe aussi entre la marine israélienne et la flotte de l’OTAN. L’OTAN a également conclu des accords spéciaux avec Singapour, la Corée du Sud, Taïwan, la Nouvelle Zélande et l’Australie. Les deux plus grands producteurs de drogues, la Colombie et l’Afghanistan coopèrent avec l’OTAN. Les îles de l’atoll Diégo Garcia dans l’océan Indien, appartenant encore à la Grande Bretagne, ont été louées aux USA. L’OTAN utilise les installations militaires qui s’y trouvent pour ses engagements.

A présent, les USA tentent d’intensifier, également au nom de l’OTAN, leurs relations militaires avec le Vietnam, le Myanmar et le Timor de l’Est. Ils essaient de faire de même dans le territoire des cinq Etats de l’Asie centrale. Au Libéria, « l’US-Africom », retiré récemment de Stuttgart, vient d’être installé à Monrovia. Là où il n’y a pas de base terrestre, l’OTAN est le plus souvent représentée par la marine de guerre des USA. La présence stratégique et la prise en tenaille manifeste de la Chine et de la Russie sont de plus en plus perfectionnées. Il est peu surprenant que tout cela ait de sérieuses conséquences pour les relations internationales !
L’élargissement de l’OTAN va de pair avec l’objectif non déclaré de l’affaiblissement d’autres alliances, telles que l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). « Gladio », mystérieuse organisation secrète d’Etats occidentaux, mise sur pied déjà à l’époque de la guerre froide, indique à quels moyens, même illégaux, on a recours.

Les développements de ces dernières années montrent une OTAN s’élargissant sans cesse mais qui s’est en même temps affaiblie. Des défaites en Afghanistan et en Irak, une guerre à l’encontre du droit international contre la Yougoslavie et une invasion non autorisée par le Conseil de Sécurité en Irak sont devenus les événements-clés de l’affaiblissement de l’OTAN. Les sérieuses infractions contre les quatre Conventions de Genève et la Convention concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre, conclue à La Haye, représentent d’autres causes de l’affaiblissement. A titre d’exemples la maltraitance de prisonniers à Bagram, Abou Ghraib et Guantánamo et les vols américains transférant des prisonniers vers d’autres pays pour les torturer dans des prisons secrètes.

L’abus de la responsabilité de protéger (responsability to protect, R2P), que le Conseil de Sécurité lui avait confiée pour le bien-être de la population civile en Libye et la façon d’agir de quelques Etats membres de l’OTAN lors de la crise syrienne ont massivement encouragé l’opposition contre l’OTAN.
De nouvelles provocations telle que l’installation d’un réseau de systèmes de défense antimissile en Espagne, en Pologne, en Roumanie, en Turquie et en Allemagne ont rencontré la résistance justifiée de la Russie et ont compromis la relation de confiance qui formait la base du Conseil OTAN-Russie (COR).

Comment expliquer l’évolution de l’OTAN entre 1949 et 2013 ?

La dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991, l’indépendance des 12 républiques soviétiques qui en résulte et la dissolution du Pacte de Varsovie et la signature de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe en novembre 1990 ont représenté d’excellentes occasions de mettre un terme à la guerre froide et d’établir une paix chaude. Partout, on parlait du « dividende de la paix » envisagé. Mais il en fut tout autrement. L’OTAN ne se retira pas de l’histoire mais chercha une nouvelle justification de son existence.
Le gouvernement de George W. Bush et les milieux néoconservateurs aux USA, animés par l’idée d’un « siècle américain » à venir (Project for a new American Century – PNAC) voulaient maintenir une OTAN sous la direction des USA. Le 11 septembre 2001 a conforté les milieux politiques de Washington dans leur justification de l’hégémonie américaine. Cette « psyché PNAC », c’est-à-dire la croyance en le leadership des USA, a existé par-dessus les partis avant et après l’attaque terroriste contre le World Trade Center de New York. Les Etats membres européens de l’OTAN et le Canada étaient prêts à en être les larbins dociles.

En parallèle, l’OTAN s’est transformée sous la direction américaine d’une alliance de défense protégeant ses membres à l’intérieur de la communauté, vers une alliance dotée d’un mandat mondial. Les concepts stratégiques de l’OTAN de 1991, 1999 et 2010 en sont la preuve en affirmant que de nouvelles menaces justifieraient de nouvelles approches. « Sur le plan mondial l’OTAN est l’alliance politico-militaire qui a le plus de succès », déclara-t-on en novembre 2010, lorsque le concept stratégique de l’OTAN fut présenté à Lisbonne. Qu’il s’agissait de la « sécurité » et de la « liberté » de l’OTAN, comptant à l’époque 28 membres, et non pas du bien-être des autres 165 Etats membres de l’ONU, était un secret de Polichinelle. Sinon comment expliquer les systèmes de défenses antisatellites de l’OTAN en Europe et en Asie ou bien les inspections de navires de commerce dans les eaux internationales effectuées par l’OTAN ? Les exercices militaires de l’OTAN dans des interfaces de crise telle que la péninsule coréenne ou ailleurs, en sont d’autres exemples. Il s’agit d’égoïsme et d’outrecuidance. Voilà pourquoi une grande partie du reste du monde met régulièrement en question la raison d’être de cette Alliance transatlantique.

Des liens étroits, voire démesurés (hyper connections), et le réseautage à tous les niveaux ont mené à une polarisation dans les relations internationales, dont le comportement aggressif de l’OTAN est à l’origine.
L’OTAN avec sa pensée toujours unilatérale se voit confrontée à une résistance multipolaire croissante. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) sont deux exemples d’alliances politiquo-militaires réagissant au développement de l’OTAN. « Nous vivons le recours presque illimité à la force militaire, ce qui entraîne le monde dans l’abîme du conflit permanent ! » Il s’agit des paroles du président russe Vladimir Poutine de 2007.

Désormais, le niveau de confrontation entre l’OTAN et de plus en plus de pays en Asie, en Amérique latine, en Afrique mais aussi au Moyen-Orient a encore augmenté. Les conflits avec la Libye (2011) et la Syrie (depuis 2011), la guerre contre les Taliban en Afghanistan et au Pakistan (depuis 2001) ainsi que l’invasion des USA en Irak – à l’encontre du droit international – et son occupation pendant 8 ans (2003–2011) ont contribué massivement à la polarisation des relations internationales.

Dans tout cela la double morale de l’OTAN, l’égoïsme de l’Alliance, la corruption politique par quelques Etats membres et la violation répétée du droit international ont joué un rôle primordial. S’y ajoute la propagation délibérée de fausses informations par les institutions de l’Etat pour influencer l’opinion publique nationale et internationale. Les exemples politiques sont nombreux, citons-en un seul : l’apparition du ministre de la Défense américain Colin Powell le 5 février 2003 devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. En présence du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, du directeur général de l’AIEA, Mohamed el-Baradei et du directeur de la COCOVINU, responsable du désarment en Irak, Hans Blix, Powell avait pour mission de livrer à son gouvernement les preuves que l’Irak du président Saddam Hussein était en possession d’armes de destruction massive. Ce fut la première mystification étant donné que non seulement les spécialistes savaient qu’en 2003 l’Irak était désarmé de façon qualitative et ne représentait plus aucun danger. Aucune réaction des rangs de l’OTAN ! Par leur silence les hauts représentants onusiens ont indirectement soutenu l’invasion de l’Irak, initiée par les USA. Par conséquent, ils en portent une part des responsabilités.

Thèses fondamentales quant à la question de savoir « OTAN – quo vadis ? »

« Défense » de l’OTAN

Le procédé de l’OTAN, sous prétexte de devoir se défendre contre un ennemi, est souvent lié aux provocations de l’OTAN elle-même. Cela veut dire qu’il faut souvent chercher les causes de la crise auprès de l’OTAN elle-même. Un exemple important est l’initiative de missiles antisatellites des USA, liée à l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. Là, la réaction, le symptôme est devenu la cause. Aussitôt que l’OTAN arrête ses provocations, une défense devient inutile !

Changement global

Les signes se multiplient que le monde se détourne rapidement d’une politique unipolaire et adopte un paradigme bien plus différencié pour les relations internationales. Ce processus apporte de nouveaux obstacles pour la coopération internationale mais aussi de nouvelles possibilités. Dans l’intérêt de la sécurité internationale, d’un développement pacifique, des droits de l’homme pour tous mais surtout dans l’intérêt de la constitution d’une confiance internationale, cela signifierait que les alliances telles que l’OTAN et l’OCS devraient abandonner leur étroite approche sécuritaire et accepter une coopération mondiale. Un tel développement ne doit pas rester une utopie si l’on reconnaît que l’action d’un commun accord des 193 Etats membres de l’ONU est la meilleure alternative.

Le chapitre VIII : « Accords régionaux » de la Charte de l’ONU

L’intégration des tâches de l’Alliance dans la responsabilité des Nations Unies est acceptée par tous les Etats-membres de l’ONU. Elle est donc une obligation juridique internationale et ne devrait pas être rejetée comme utopique. Il faut par contre la soutenir comme objectif en négociant avec persévérance et en encourageant les débats sur la réforme de l’ONU. Les capacités existantes et reconnues de l’OTAN pourraient fournir, suite à son intégration (subsidiarité), des contributions précieuses pour surmonter des crises et en faveur de la paix. Le combat contre les cyber-guerres, le terrorisme, la piraterie, la contrebande de drogues et d’êtres humains pourrait être gagné grâce à une coopération au sens du chapitre VIII.

Réforme de l’ONU

La responsabilité en matière de politique de sécurité pour le développement global, ré­gional et local se trouve auprès du Conseil de Sécurité et non pas de l’OTAN. A cause des faiblesses structurelles de l’ONU le Conseil de Sécurité est devenu incapable d’assumer cette fonction. La crise en Syrie est un autre exemple grave de cette incapacité et donc une réalité dangereuse pour la paix mondiale. On ne manque pas de propositions fondamentales de réformes. Depuis plus d’une vingtaine d’années, il y a eu rapport sur rapport sur ce thème. C’est la volonté politique qui a fait défaut à la communauté des peuples de réfléchir à ces propositions, de les voter et de les introduire. En premier lieu, il s’agit de la réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU. Il existe des réflexions précieuses pour adapter la composition du Conseil de sécurité, pour le statut des membres, pour le droit de veto ou le droit de la majorité lors de votations, des questions de subsidiarité d’alliances telle que l’OTAN etc.

L’obligation de rendre des comptes

Le cadre de la coopération internationale est en grande partie défini par la Charte de l’ONU et par deux pactes internationaux relatifs aux droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels. Le respect de ce droit international stipulé engage tous les Etats qui sont membres des Nations Unies et par conséquent aussi les Etats membres de l’OTAN. En réalité, il règne cependant une culture de l’impunité. Des décisions au sein du Conseil de Sécurité ou dans d’autres commissions qui ont conduit à de graves violations des droits de l’homme restent sans conséquences pour les décideurs. Les conséquences d’une politique de sanctions inhumaine imposée par des Etats membres de l’OTAN siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU dans le cas de l’Irak, celles de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie, des interventions illégales en Irak ou bien de l’engagement de l’OTAN en Libye sont toutes empiriquement vérifiables. Une obligation de rendre des comptes est la condition pour prendre un nouveau départ dans les relations internationales.

La voie vers la paix que l’OTAN devrait prendre est connue. Aussitôt que l’OTAN elle-même reconnaîtra cette voie, un processus de guérison pourra commencer.

Hans Christoph von Sponeck
Horizons et débats > 2014 > N° 1, 20 janvier 2014

Traduction et source : Horizons et débats
http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=4180