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Une analyse de Ghaleb Kandil
Les misères d’Erdogan

La presse turque foisonne, ces dernières semaines, d’articles, de rapports et d’enquêtes qui constituent autant d’indices sur le coût politique, économique et sécuritaire exorbitant que supporte le pays à cause de l’ingérence du gouvernement de Recep Tayyeb Erdogan en Syrie.

2 octobre 2012 | - : Syrie Ingérence Turquie

Sur le plan économique, les exportations turques via la Syrie sont tombées de 1,4 milliards de dollars, avant mars 2011, à 300 millions de dollars aujourd’hui. Des milliers d’usines et d’entreprises créées dans les zones franches à la frontière entre les deux pays ont fermé leurs portes. Le parc de poids-lourds utilisé pour le transit via la Syrie, constitué de 15 véhicules, est paralysé par l’inactivité. Le transport des marchandises vers les pays arabes par voies maritimes et aériennes coûte beaucoup plus cher, privant ainsi les produits turcs d’un atout essentiel dans la compétitivité.

Ces pertes affectent de larges pans de la société turque qui n’ont pas été convenablement indemnisés et qui n’ont pas trouvé de nouveaux débouchés. Les acteurs économiques et financiers turcs craignent une intervention militaire de leur pays en Syrie, qui aura certainement des répercussions négatives sur le secteur touristique. Car dans une guerre entre les armées turque et syrienne, des missiles de longue porté et l’aviation seront sans doute utilisés.

En outre, Erdogan et son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, ont développé un discours ouvertement sectaire pour exacerber les tensions à l’intérieur de la Syrie, attisant les divisions dans leur propre pays.

Si, en Syrie, les dégâts provoqués par ce discours ont pu être limités, empêchant une fracture irrémédiable grâce à la fibre patriotique et nationale transcommunautaire, en Turquie, il en est autrement. Des milieux politiques, y compris au sein du Parti de la Justice et du Développement d’Erdogan, mettent en garde contre le danger de l’exacerbation des tensions communautaires dans un pays où les alaouites et les alévis constituent près de 20% de la population.

Face à ces réalités, le mouvement populaire contre la politique syrienne d’Erdogan commence à prendre de l’ampleur. Il s’exprime à travers la multiplication des manifestations, la publication de communiqués et la signature de pétitions, autant d’outils de pression contre le gouvernement Erdogan.

Cette situation a poussé les autorités turques à déplacer les camps de réfugiés de la région d’Alexandrette, où les photos du président Bachar al-Assad sont brandies par la population, qui est d’origine syrienne, lors des manifestations.

C’est pour les mêmes raisons qu’Ankara a demandé au commandement de ladite Armée syrienne libre de quitter le territoire turc. Bien que les chefs des Frères musulmans et du Conseil national syrien soient toujours à Istanbul, leurs milieux se plaignent de « la froideur » qu’ils rencontrent depuis un certain temps lors de leurs contacts avec les responsables turcs. Ces opposants syriens se sont plaints de leurs malheurs devant des journalistes occidentaux.

Le dossier kurde constitue le danger le plus grave auquel est confronté le gouvernement Erdogan. La frontière syro-turque s’étire sur 800 kilomètres, dont quelque 600 kms ont une forte population kurde des deux côtés de la frontière. Ce qui signifie que les comités populaires armés kurdes, en Syrie, sont désormais présents face aux positions de l’armée turque, tandis que les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sont très actifs de l’autre côté de la frontière, où l’armée turque subit des pertes sans précédent. La reprise des négociations entre Ankara et le PKK est de nouveau envisagée. Dans le même temps, toutes les tentatives visant à entraîner les Kurdes de Syrie dans la rébellion armée ont échoué.

Le proverbe arabe dit : « Celui qui a préparé le poison à été le premier à l’avaler ». C’est ce qui est arrivé à Erdogan, qui se trouve empêtré dans ses problèmes domestiques insolubles, pour avoir comploté contre la Syrie.

Déclarations et prises de positions

Vladimir Poutine, président russe

« Nos partenaires occidentaux n’arrivent pas à s’arrêter. Après avoir semé le chaos dans de nombreuses régions, ils poursuivent la même politique dans d’autres pays, notamment en Syrie. Notre position consiste à encourager les changements pour le mieux dans tous les pays. Il ne s’agit pas d’imposer - surtout par la force - ce que nous croyons juste, mais de stimuler le développement de l’intérieur. Nous avons prévenu qu’il fallait agir avec circonspection, sans rien imposer par la force pour ne pas provoquer le chaos. Et qu’est-ce que nous voyons aujourd’hui ? Nous voyons une situation proche du chaos. »

Jean Kahwaji, commandant en chef de l’Armée libanaise

« L’armée, qui a réussi à briser le terrorisme à Nahr el-Bared et a pu mettre en application la résolution 1701 du Conseil de sécurité au Liban-Sud, en coopération avec la Finul, s’efforce avec le peu de moyens dont elle dispose de maintenir la sécurité à la frontière ainsi qu’à l’intérieur du pays. Elle a pu contenir les affrontements de Tripoli, contrôler la frontière avec la Syrie et mettre fin au trafic d’armes. Le Liban est toujours confronté aux convoitises israéliennes, aux retombées des événements en Syrie, aux manigances des organisations terroristes. Le rôle de l’armée est de préserver la démocratie et la liberté au Liban. Je vous promets qu’il n’est pas question d’opérer un retour en arrière. »

Ghaleb Kandil
New Orient News (Liban)
Rédacteur en chef : Pierre Khalaf
Tendances de l’Orient No 102, 1er octobre 2012.

Toutes les versions de cet article :
- Las miserias de Erdogan
- Das Elend von Erdogan
- As desgraças de Erdogan