écrits politiques

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Un article de Louis Denghien
Syrie : Les bandes de l’ASL sont les vecteurs de la terreur et de la haine confessionnelle

Nous avons assez épinglé dans ces pages l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, organe central de la droite libérale – et donc un rien atlantiste et sioniste -, et surtout son responsable des pages étrangères, Frédéric Pons, pour sa propagande anti-syrienne (peut-être un peu plus nuancée ces derniers mois), pour saluer comme il le mérite l’article que vient de signer, dans le Spectacle du Monde (pendant et complément mensuels de Valeurs Actuelles) le chroniqueur Patrice de Plunkett.

14 mai 2012


Abdelhakim Belhadj (au centre en treillis camouflé), au temps de ces exploits libyens : aujourd’hui le véritable chef de l’ASL en Syrie

De Plunkett fut dans les années 80/90 un des dirigeants du Figaro-Magazine, avant que les aléas des restructurations économiques et politiques le contraignent à émigrer vers d’autres cieux éditoriaux.

Donc, Patrice de Plunkett – qu’on peut définir sans le diffamer comme un catholique de droite (pas trop libérale, elle) – vient de consacrer un segment de sa longue chronique mensuelle à la Syrie (numéro de mai 2013 du Spectacle du Monde). Ou plutôt à la désinformation qui sévit à ce sujet en France. Il se trouve que de Plunkett était en visite en Israël – notamment pour y rencontrer les chrétiens de Palestine – quand il a rencontré, sur les rives du lac de Tibériade, un médecin français travaillant en Syrie et venu en Israël via le Golan occupé et Kuneitra. L’éditorialiste du Spectacle du Monde lui donne la parole, et c’est édifiant, ou ça devrait l’être pour Frédéric Pons et nombre de ses collègues.

La vrai nature – et les vrais chefs – de l’ASL

« Sachant ce que racontent les médias et les politiques à Paris, j’hésite à témoigner de ce qui se passe réellement sur le terrain » commence par dire à de Plunkett son interlocuteur. Et ce qui se passe réellement en Syrie, ça ne surprendra éventuellement que certains lecteurs du Spectacle du Monde, c’est qu’à Homs, par exemple, « 90% des chrétiens mais aussi les alaouites et nombre de musulmans modérés, ont été forcés de partir sans rien emporter » écrit de Plunkett. Qui laisse ensuite la parole au médecin français : « Leurs maisons sont occupées par les familles des insurgés sunnites. On enlève des instituteurs, on assassine des chauffeurs de taxi pour prendre leur voiture, on tue des fonctionnaires : c’est une campagne d’éviction par la terreur ». Et il ajoute : « La presse à Paris croit devoir dire que les chrétiens de Syrie ont tort de soutenir Assad. Ont-ils le choix ? » Alain Juppé aussi disait cela.

Patrice de Plunkett reprend la parole et la plume. Pour dire que jusqu’alors la Syrie, « véritable nation contrairement à l’Irak », ignorait les haines communautaires. Et que ces haines, elles sont aujourd’hui « crées par les salafistes qui infiltrent l’Armée syrienne « libre » (les guillemets sont de de Plunkett). S’appuyant sur un récent article du quotidien espagnol ABC, le chroniqueur du Spectacle du Monde écrit noir sur blanc que l’ASL est commandée sur le terrain par deux islamistes radicaux libyens, le désormais fameux Abdelhakim Belhadj, ex-compagnon de Ben Laden et un temps gouverneur de Tripoli par la grâce de l’OTAN, de Sarkozy et de Juppé, et Mahdi al-Harati, ex-commandant de la « brigade de Tripoli » pendant la guerre civile libyenne et ex-numéro 2 du « conseil militaire révolutionnaire » dans la capitale libyenne. Les deux hommes, peut-être un peu encombrants aux yeux du CNT, se sont donc « délocalisés » en Syrie, à la fin du mois de novembre dernier. Avec, rappelle là encore Patrice de Plunkett, 600 (700 selon d’autres sources) compatriotes armés. Qui s’acharnent depuis à mettre le nord de la Syrie à l’heure djihadiste : le journaliste donne l’exemple de la petite ville d’al-Kusayr (ou al-Qusayr), à mi-chemin de Homs et de la frontière libanaise, où les bandes ASL ont massacré plusieurs familles, au nom de l’éradication des « traîtres à l’Islam », contraignant le gros de la population – sunnites compris – à fuir. De Plunkett signale que la maison du curé local a été détruite à dessein à l’obus de mortier.

Patrice de Plunkett précise que toutes les factions insurgées ne sont pas dans cette logique du djihad. Mais il pointe l’inspiration idéologique des fanatiques et des sanguinaires, le wahhabisme, et leurs soutiens : l’Arabie séoudite qui fournit les armes et le Qatar qui fournit l’argent : « deux alliés de l’OTAN, comme chacun sait » souligne de Plunkett, jetant une pierre dans le jardin fort embroussailé de nombre de ses collègues de la presse « de droite ». Et pour conclure, il redonne la parole au médecin français du lac de Tibériade, un rien découragé : « L’Irak… la Libye… maintenant la Syrie… J’aimerais qu’on me dise pourquoi nous, Occidentaux, nous mettons systématiquement ces gens au pouvoir ». Nous, on a bien des éléments de réponse, mais ce serait le sujet de nombreux autres articles.

L’article de Plunkett est illustré, c’est à noter, d’une grande photo d’un de ces groupes « islamo-otanesques », avec une légende synthétisant le contenu de l’article : direction effective libyenne (on pourrait ajouter turque) de l’ASL, soutien financier et logistique de ces groupes par l’Arabie séoudite et le Qatar, et soutien politique de l’OTAN, de Londres et de Paris à cette « étrange ASL » qui « sème la terreur et attise des haines communautaires jusqu’alors ignorées en Syrie ». Une légende qui se conclut par une question : « Après l’Irak et la Libye, pourquoi l’Occident cherche-t-il à mettre systématiquement les salafistes au pouvoir ? »

Et puis, la même livraison de ce magazine décidément bien inspiré consacre encore ceux pages à souligner dans quelles conditions de répression violente s’est déroulé le Grand Prix de Formule 1 au Bahrein. Là encore tout est dit : injustice politique et sociale faite à la majorité chiite, rôle de l’Arabie séoudite, et attitude scandaleuse de M. Ecclestone, « grand argentier de la F1 », qui a décerné un satisfecit aux autorités bahreinies. Le Spectacle épingle aussi au passage la chaîne TF1, « ‘si soucieuse de la situation en Syrie » et qui, pour cette compétition automobile sous état d’urgence « a préféré faire officier ses commentateurs depuis Boulogne-Billancourt » : c’est en effet plus prudent et raccord avec la grande tradition d’hypocrisie des milieux d’affaires et d’argent pour qui les droits de l’homme sont un élément de marketing, et sûrement pas un concept universel.

Réinformation au sommet de la droite ?

Pour revenir à la Syrie et à l’ASL, on aimerait, bien sûr, mettre cet article (après quelques autres) sous les yeux d’un Alain Juppé, ou d’une Édith Bouvier : mais ni le ministre atlantiste ni la journaliste bobo n’ont, en quelque sorte, le logiciel intellectuel pour assimiler ce genre d’information. Il n’en va pas de même, pensons nous, de nombreux lecteurs de cette presse conservatrice française, qui sont très sensibles – non sans confusionnisme – à la question de l’islamisme radical et aussi de la défense des chrétiens d’Orient. Et c’est là que Patrice de Plunkett fait, selon nous, oeuvre particulièrement utile, signalant et soulignant les aberrations de la position politique française sur la Syrie, ce dans un journal très lu par les élites dirigeantes de la droite (au sens large). Si le Spectacle du Monde et Valeurs Actuelles – dont nous avions signalé un reportage très intéressant sur le soutien turc aux terroristes – réinforment à leur tour sur la Syrie, le Figaro lui-même – où un Georges Malbrunot a une analyse (un peu) moins manichéenne qu’au début de la crise – devra, malgré son fort tropisme atlantiste, suivre, fut-ce à reculons. Reste à espérer que le futur ministre des Affaires étrangères de François Hollande lise lui aussi le Spectacle du Monde.


Entre autres choses, de Plunkett rappelle que les bandes de l’ASL loin de représenter une force de libération, sont les vecteurs de la terreur et de la haine confessionnelle

Louis Denghien
infosyrie.fr, 13 mai 2012.