écrits politiques

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Une analyse de Pierre Khalaf
Syrie : Un pouvoir solide face à une opposition divisée

Six mois après le début des troubles en Syrie, le régime fait preuve d’une solide cohésion, et rien n’indique qu’il soit sur le point de lâcher prise. Plus de 600 militaires et membres des forces de sécurité ont été tués au cours d’embuscades ou d’attaques, reflétant la militarisation croissante de la contestation, dont les chefs, installés et téléguidés de l’étranger, n’hésitent plus à réclamer ouvertement une « protection internationale ».

19 septembre 2011

Malgré les moyens gigantesques mis à sa disposition par l’Occident, les pétromonarchies et la Turquie, l’insurrection se heurte à plusieurs obstacles qui déterminent les contours et les limites de son action. La mobilisation des foules autour des mosquées, notamment après les prières du vendredi, l’absence de toute alternative viable en cas de vacance de pouvoir, la désorganisation et les divisions qui caractérisent l’opposition, la crainte que suscite le retour annoncé des Frères musulmans, ainsi que la menace d’un dérapage vers une guerre civile instrumentalisée par les puissances régionales et internationales, dissuadent la majorité silencieuse, qui évite de prendre part au mouvement de contestation.

Dans la foulée de cette guerre pour l’opinion publique, le président Bachar al-Assad peut encore compter sur le soutien de plus de la moitié de la population. Une autre partie importante a choisi la neutralité. La crainte d’une réédition des précédents irakien et libanais hante les minorités religieuses qui représentent 30% de la population, ainsi que la bourgeoisie urbaine, soucieuse de ses intérêts, ce qui explique le calme qui prévaut à Damas et à Alep, ou résident la moitié des 23 millions de Syriens. La révolte reste confinée aujourd’hui à six foyers principaux : Homs, Hama, Deraa, Idlib, Deir Ezzor, ainsi que la banlieue sunnite de Damas. Le calme règne dans les huit autres provinces.

L’opposition mise depuis le début du soulèvement sur la défection de l’armée, afin de renverser l’équilibre des forces à son avantage. Même si un petit nombre de militaires sont entrés en dissidence, le régime a réussi après six mois de vaines tentatives de la part de l’opposition et de ses tuteurs étrangers, à préserver la cohésion de l’armée et des services de sécurité, qui restent soudés derrière le président. Aucun responsable civil, aucun diplomate, ou militaire haut gradé n’a fait défection, dissipant ainsi toute possibilité de fracture au sein du pouvoir.

Les tentatives d’internationalisation de la crise exacerbent les tensions sur le plan régional, suscitant une levée de boucliers de la part des alliés de la Syrie, en particulier l’Iran, le Hezbollah et la résistance anti-américaine en Irak.

C’est dans ce contexte que le président russe Dmitri Medvedev a soutenu les réformes annoncées par le président Assad, tout en estimant que parmi les contestataires, figurent « des extrémistes, dont certains peuvent même être qualifiés de terroristes ». Il s’est dit « prêt à soutenir plusieurs options pour résoudre la crise, à condition qu’elles ne soient pas basées sur une condamnation unilatérale visant le président Bachar al-Assad, ou même la performance du gouvernement », tout en rappelant que « cela va dans l’intérêt de la Russie, car la Syrie est un pays ami, avec laquelle nous entretenons d’étroites relations politiques et économiques ». Une façon de dire au monde que face à la propagation de l’islamisme et à l’endiguement américain de la Russie, Moscou n’abandonnera jamais son seul et dernier allié en Méditerranée.

Malgré toutes les pressions, y compris celles exercées par la Ligue arabe, devenue un instrument aux mains des pétromonarchies et de la Turquie, le pouvoir syrien poursuit, imperturbable, l’application de l’agenda de réformes qui répond aux seuls intérêts nationaux. La nouvelle loi sur les partis vient d’être ratifiée alors qu’une commission chargée de recevoir les demandes d’autorisation des nouvelles formations politiques a été mise sur pied. Le pouvoir vient de lancer aussi un dialogue national décentralisé, dans les quatorze provinces du pays. Les discussions, qui portent sur les réformes politiques, économiques et sociales, regroupent entre autres les représentants du Baas, des dignitaires, intellectuels, opposants et représentants de la société civile.

En parallèle, l’opposition de l’intérieur s’est réunie samedi 17 septembre dans une banlieue de Damas, pour élire un comité central de 60 membres. La réunion s’est déroulée sans que la police ne tente de l’interdire. Désormais, les « Conseils », « Ligues de coordination » et « comités » qui affirment parler au nom de l’opposition ne se comptent plus.

Sur le terrain, le pouvoir a encore marqué des points dans sa lutte contre l’insurrection armée. L’armée syrienne a arrêté le lieutenant-colonel Hussein Harmouch, qui avait fait défection le 9 juin dernier et annoncé la formation d’un fantomatique « Mouvement des officiers libres ». Cette arrestation permettra au régime d’intercepter le réseau de militaires dissidents au sein de l’armée et de dissuader d’éventuelles nouvelles défections. Dans des aveux retransmis à la télévision syrienne, Hussein Harmouch reconnait avoir été financé par des personnalités de l’opposition, mais affirme, amer, avoir surtout reçu des promesses non tenues.

New Orient News (Liban)
Rédacteur en chef : Pierre Khalaf (*)
Tendances de l’Orient No 49, 19 septembre 2011.


(*) Chercheur au Centre d’Etudes Stratégiques Arabes et Internationales de Beyrouth.

Source :
http://www.neworientnews.com/news/fullnews.php?news_id=42318

Voir également la récente prise de position de Mgr Béchara Raï qui concerne aussi la Syrie :
« Le Patriarche maronite s’oppose au plan de morcellement du Machrek arabe », par Pierre Khalaf, 19 septembre 2011.