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Entretien avec le parlementaire suisse Jean-Charles Rielle
Un bateau "Swiss Made" pour Gaza

Réunis à Genève début octobre, les représentants de la Coalition internationale pour lever le siège de Gaza (Britanniques, Suisses, Grecs, Suédois, Malaisiens, Turcs, Etats-uniens, Norvégiens, Hollandais, Irlandais, Italiens, Algériens, Koweitiens, Jordaniens ainsi que d’autres pays arabes) ont affirmé leur détermination à briser le blocus maritime imposé par Israël à la population de Gaza. Bien que le bateau suisse, soit prêt depuis août, il a fallu reporter le départ de la deuxième Flottille de la liberté au printemps prochain parce que de plus en plus de pays veulent la rejoindre. Parmi les 45 passagers qui partiront sur le bateau suisse (il y a eu 500 demandes) il y a des parlementaires. Jean-Charles Rielle, 58 ans, député socialiste au Parlement suisse, qui s’exprime ici, est l’un d’entre eux.

15 octobre 2010 | - : Gaza Israël Palestine Solidarité

Silvia Cattori : Vous venez d’annoncer [1] que vous partirez avec la Flottille qui se mobilise en faveur de la population assiégée de Gaza. Cela vous honore, car peu de personnalités politiques osent s’exprimer de manière critique quand il s’agit d’Israël. Quel évènement vous a-t-il conduit à vous impliquer de la sorte ?

Jean-Charles Rielle : Je suis allé deux fois à Gaza, en janvier 2009 quelques jours après la catastrophe humanitaire provoquée par l’intervention israélienne, et en janvier 2010 pour faire un bilan un an après [2]. C’est à ces moments-là, que j’ai pu effectivement mesurer l’ampleur du problème, et ses conséquences notamment pour la santé de la population qui subit ce siège. Le médecin que je suis a pu prendre la mesure de la gravité de la situation. Il est temps de faire cesser ce blocus pour que ce peuple puisse devenir libre. Libre de ses choix, libre de se déplacer, libre d’avoir accès à l’essentiel. Aucun pays, aucun peuple ne peut accepter d’être soumis à un tel blocus par une armée occupante.

C’est pour ces principes que, moi-même et quelques autres parlementaires, dont Josef Zisyadis et Carlo Sommaruga, nous nous battons en participant - si le calendrier des sessions parlementaires le permet - à cette Flottille. C’est un combat qui est simplement éthique et appelle à faire respecter le droit international.

Nous serions déjà partis avec la première Flottille de la liberté si son départ n’avait pas eu lieu au moment où nous siégions à Berne. J’aimerais vous dire que je me réjouis très fortement de cette grande coalition qui se met en place actuellement, du nombre de pays représentés et du nombre de bateaux. Il convient de tout mettre en œuvre pour que ce siège soit levé. Le fait qu’il y ait un bateau suisse parmi cette coalition, ajoute une symbolique importante.

Silvia Cattori : La dernière tentative s’est terminée dans le sang, avec l’assaut des commandos israéliens sur le Mavi Marmara qui ont tué neuf Turcs et en ont blessés cinquante autres. Y a-t-il plus de chances de faire céder Israël cette fois-ci ? Y a-t-il une garantie qu’Israël ne fera pas subir à cette deuxième Flottille les violences qu’il a infligées à la précédente ?

Jean-Charles Rielle : Par son ampleur, cette deuxième Flottille doit pouvoir continuer d’interpeller le monde entier sur la nécessité de lever ce blocus et a pour but de conduire, il faut l’augurer, à la levée de ce blocus qui frappe Gaza. On verra la réponse d’Israël à ce moment-là.

Silvia Cattori : Par ce blocus, Israël cherche à briser l’esprit de résistance du peuple palestinien et à le couper du mouvement du Hamas. Ce qu’Israël redoute en vérité n’est-il pas l’impact politique de ces flottilles ? Autrement dit, ces internationaux qui se mobilisent pour Gaza ne font-ils pas passer l’idée que la résistance du peuple palestinien (qu’Israël qualifie de terrorisme) est un droit légitime ?

Jean-Charles Rielle : Mais la résistance est un droit légitime, et pas seulement pour le peuple palestinien. Tout peuple a le droit de disposer de sa liberté de mouvement, d’avoir accès à l’essentiel en matière de nourriture, et de tout ce qui fait qu’un homme est libre et qu’il peut s’assumer. Le droit international condamne ce blocus par Israël. Il faut qu’il soit respecté. En tant qu’élu au Conseil national, je représente le Canton de Genève, qui est le dépositaire des Conventions de Genève. Il est important d’exiger que ce blocus soit levé.

Silvia Cattori : Israël peut faire tout ce qu’il veut parce que le rapport de force lui est favorable. Si les autorités de l’État d’Israël ont pu jusqu’ici mener une politique agressive contre leurs voisins arabes, n’est-ce pas parce qu’elles ont le soutien entier ou bienveillant des États occidentaux ? La Suisse n’est pas en reste, comme vient de le démontrer le voyage officiel en Israël de son ministre de la défense, M. Ueli Maurer [3]. Cet exemple n’indique-t-il pas qu’il n’y a pas à Berne de véritable volonté politique de rendre justice au peuple palestinien et que vos démarches pèsent de peu de poids ?

Jean-Charles Rielle : Ecoutez, si on pensait n’avoir aucun poids, on ne ferait pas tout ce que l’on est en train de faire avec la Flottille. Je crois que les rapports de force peuvent s’inverser lorsque l’on défend l’éthique et les droits fondamentaux.

Silvia Cattori : Le voyage de M. Maurer reflète-t-il la position du Conseil fédéral ?

Jean-Charles Rielle : Dans ce cas précis je rappelle que la politique menée par notre ministre des affaires étrangères, Mme Micheline Calmy-Rey, est très claire en ce qui concerne les droits du peuple palestinien. Il y a là, avec M. Maurer, un ministre qui a une autre sensibilité et qui, malgré toutes les demandes qui lui étaient adressées de ne pas se rendre en Israël, y est allé. Cela est grave, d’autant qu’en sa qualité de ministre de la défense, son voyage a une forte charge symbolique.

Que l’on s’en tienne, sur le plan diplomatique, à observer une certaine neutralité, cela on peut le comprendre. Mais M. Maurer, en tant que ministre de la défense de notre pays, se rend en Israël à un moment où il ne devrait pas y aller. Il a cru bon de favoriser les échanges militaires - et tout ce que cela peut comporter - à un moment tout-à-fait inopportun.

Quand nous l’entendons déclarer, en Israël, que sa visite se justifie parce que la Suisse, comme pays neutre, doit visiter tous les pays, nous disons que, dans ce cas précis, c’est injustifiable, car il s’agit ici d’un ministre de la défense qui négocie des contrats d’armements pouvant servir notamment à renforcer la politique que nous dénonçons.

Nous lui disons que sa place n’était pas en Israël ; que ce n’était pas un moment approprié et qu’il n’avait pas à aller en Israël. Il devra rendre des comptes à son retour, sur l’image qu’il fait porter à la Suisse par sa présence en Israël, en tant que ministre de la défense, alors que le blocus qui pèse sur Gaza viole le droit international.

Pour l’élu que je suis, le médecin que je suis, il s’agit d’œuvrer pour faire en sorte que le droit international soit respecté, que le siège de Gaza soit levé afin que le peuple palestinien puisse vivre libre. Il s’agit d’abord d’un combat éthique.

Silvia Cattori : Nous vous remercions.

Silvia Cattori



[1Conférence de presse à Genève, le 11 octobre 2010, de la Coalition de la Flottille 2 de la liberté pour Gaza. Cette coalition fondée en avril 2010 par les ONG : The European Campaign to end the Siege on Gaza, Free Gaza Movement, The IHH Humanitarian Relief Foundation, Ship to Gaza- Sweden, Ship to Gaza-Greece rassemble aujourd’hui des centaines d’organisations et associations dans le monde. Le bateau suisse est soutenu par plus de 200 ONG

[3Voir : « Ueli Maurer en Israël sur fond de dégel », par Simon Bradley, Swissinfo, 8 octobre 2010.


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