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Un article de Joe Catron
L’ingénieur Palestinien enlevé en Ukraine par des agents du Mossad en grève de la faim

Dirar Abu Sisi est l’ingénieur adjoint de l’unique centrale électrique de la Bande de Gaza. Agé de 43 ans, ce prisonnier palestinien a décidé de protester contre l’isolement cellulaire imposé par Israël et ce, en observant une grève de la faim pendant la journée du jeudi (le 13 septembre).

24 septembre 2012


L’avocat de Dirar Abu Sisi soutient le recours des autorités israéliennes à des méthodes illégales pendant les interrogatoires. (Tsafrir Abayov / AFP/Newscom)

En effet, le choix du jeûne marque le dernier épisode d’une longue et mystérieuse histoire d’enlèvement et de torture.

La mésaventure de l’ingénieur commença au mois de février 2011, au cours de son voyage en Ukraine. A l’époque, Abu Sisi avait décidé de se rendre dans le pays natal de son épouse Veronika dans le but d’obtenir la citoyenneté. Cette démarche a été motivée par les récents évènements ayant frappé Gaza, à savoir l’Opération Plomb Durci ; l’offensive israélienne sur la Bande pendant l’hiver 2008-2009 et par souci de protéger la vie de ses six enfants.

Le 18 février, Dirar a pris un train de nuit de Kharkiv à destination de Kiev dans l’espoir de rencontrer, pour la première fois après 15 ans, son frère Youssef, un résident des Pays-Bas.

Mais son périple s’arrêta à mi-chemin et il n’atteindra jamais Kiev. Tout a commencé dans la nuit lorsque trois hommes, dont deux habillés en uniformes militaires ukrainiens, sont montés dans le compartiment de Dirar, se sont présentés en montrant leurs badges des Service de Sécurité Ukrainiens et lui ont demandé de les suivre. Vers 1h00, ils l’ont obligé de descendre du train.

Contactée par The Electonic Intifada, Veronika affirme : « Mon dernier contact avec Dirar a été dans la nuit du 18 février 2011, vers 10h30, heure Palestinienne, soit juste avant sa disparition. Le lendemain, mon beau-frère m’a informé qu’il avait essayé de joindre Dirar mais que le téléphone sonnait sans réponse. Il fallait donc avertir les autorités ukrainiennes et l’Ambassade de Palestine de cette disparition. De ce fait, j’ai immédiatement pris l’avion pour Kiev pour aller à sa recherche. »

L’avion de Veronika avait sans nul doute croisé celui de son mari, car vers la fin de la journée du 19 février, Abu Sisi était déjà détenu en isolement dans une prison israélienne près de Petah Tikva, située à 76 km de Gaza et à plus de 2000 km de Kiev.

Pendant plus d’une semaine, Veronika ne savait pas où était son mari ni quel a été son sort. Elle poursuit : « Le 27 février, j’étais en train d’écrire une lettre au Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, pour lui faire part de la disparition de Dirar lorsque ce dernier m’a téléphoné. Il m’a dit qu’il a été enlevé par le Mossad [service de renseignements extérieurs Israéliens] et qu’il est à présent détenu en Israël. »

Voyage dans un cercueil

Un tribunal israélien a appliqué la loi du bâillon ainsi que des contrôles de sécurité extrêmement strictes afin d’empêcher Abu Sisi ou son avocat de dévoiler les détails de son enlèvement qui ont, cependant, été révélés quelques semaines plus tard suite à une conversation du prisonnier avec un avocat du PCHR (Palestinian Centre for Human Rights / « L’avocat du PCHR obtient des révélations du détenu Abu Sisi autour des circonstances de son enlèvement en Ukraine » le 21 mars 2011)

Par ailleurs, un co-détenu a, un peu plus tard, fourni des informations à la chaîne de télévision basée à Gaza, al-Aqsa TV, au sujet du traitement qui a été réservé à Abu Sisi (« Rendu dans un cercueil : les non-dits de l’histoire de Dirar Abu Sisi » Youssef M. Aljamal, le 31 mai 2012)

D’après son entretien avec l’avocat, Abu Sisi raconte comment il a été menotté, cagoulé et conduit par voiture jusqu’à un appartement à Kiev. Là-bas, six hommes se sont présentés comme des agents du Mossad israélien. Après quelques questions, il a été forcé de se mettre dans un cercueil pour prendre ensuite le vol en direction d’Israël. Le trajet a été marqué par une seule escale, mais dans un endroit inconnu.

Pour sa part, Veronika ajoute que l’avocat de son mari lui a rapporté que les Services Pénitentiaires Israéliens avaient réservé à Dirar « un traitement des plus épouvantables et horribles : ses mains étaient attachées à son lit huit heures par jour et ses geôliers l’empêchaient de dormir pendant sept ou huit jours d’affilée. »

Ces propos et ces témoignages ont également été appuyés par les déclarations de Tal Linoy, l’avocat israélien de Dirar, accordées l’an dernier au Kyiv Post.

Maître Linoy a reconnu que son client avait été torturé et soumis à des méthodes d’enquête illégales. Il a par ailleurs précisé au quotidien ukrainien que la loi du bâillon qui empêche le prisonnier de divulguer les détails de l’interrogatoire subi porte préjudice à son cas, et d’ajouter : « Les procureurs rendaient public les données qu’ils voulaient attribuer à mon client » (« L’avocat d’Abu Sisi affirme que son client a été forcé à se ’reconnaître’ coupable », le 19 août 2011)

Couvrant plus de 21 pages, les données étaient vraisemblablement une transcription de l’interrogatoire d’Abu Sisi, émises huit jours auparavant par la cour de grande instance de Beersheba. Il avait fourni à ses ravisseurs une litanie d’aveux, comme « l’amélioration de la portée des missiles » pour la branche militaire du Hamas, les brigades Izzedeen al-Qassam et la gestion du « programme administratif » au sein de la « nouvelle académie militaire du Hamas » (« Interrogatoire de Dirar Abu Sisi : Extraits « autorisés pour publication » par la Cour de grande instance de Beersheeba, Israël, BBC, le 11 août 2011)

A ce titre, Abu Sisi a été inculpé en avril 2011 et « accusé d’appartenir à une organisation terroriste, de comploter en vue de préparer des crimes, de produire des armes illégales, d’assister une organisation illégale et plusieurs autres crimes » (« Le Shin Bet demande des poursuites contre le ’parrain des roquettes’ », The Jerusalem Post, le 4 avril 2011)

« Pas un seul mot de vérité »

D’après les informations contenues dans le dossier, Abu Sisi avait également reconnu que l’un de ses professeurs, Konstantin Petrovich Vlasov, lui avait obtenu une inscription à l’académie du génie militaire de Kharkov.

Mais le professeur avait, deux mois auparavant, déclaré : « Ce sont des mensonges. Il n’y a pas un seul mot de vérité. Je n’ai jamais enseigné dans aucune académie militaire et je n’ai jamais été impliqué dans le domaine de l’armée, et les missiles, je les vois à la télévision seulement. » ( « Les professeurs ukrainiens défendent l’ingénieur Palestinien accusé de comploter avec le Hamas », Haaretz, le 6 juin 2011)

Par ailleurs, l’article du Haaretz a indiqué que des « Ã©coles de ce type n’existent pas ».

Veronica, l’épouse de Dirar est catégorique : « L’enlèvement de mon mari est le travail du Mossad avec la complicité de quelques ukrainiens. » et d’ajouter : « Je n’ai pas encore blâmé le gouvernement ukrainien bien qu’il soit clairement impliqué. »

Elle poursuit : « Hier, j’ai rencontré pour la première fois à Gaza l’ambassadeur de l’Ukraine en Palestine. Il n’a pas entendu parler de l’enlèvement et a promis de se pencher sur la question et de me répondre. Il a par ailleurs souligné la difficulté de la situation car Dirar n’a pas encore obtenu la citoyenneté ukrainienne. J’ai alors répondu qu’il était mon mari et que, de ce fait, il est autorisé à résider en Ukraine, ce qui lui confère les mêmes droits qu’un citoyen ukrainien en vertu de la constitution. »

Interrogée sur les raisons qui ont poussé le Mossad à enlever Abu Sisi, Veronika n’a pas hésité à répondre « A cause de son cerveau » et d’expliquer : « Dirar connaît tout sur l’électricité et sa production. Lorsque Israël a détruit l’unique centrale électrique de Gaza en 2006, mon mari a réussi à la remettre en marche en la configurant avec du diesel ordinaire en provenance d’Égypte au lieu du diesel de qualité supérieure qui vient d’Israël. C’est pourquoi, Israël a compris que ce cerveau menaçait sa mainmise sur la Bande de Gaza. »

Israël rompt son engagement sur l’isolement cellulaire

Il est très probable que dans le but de masquer les détails de cette affaire, Abu Sisi reste l’un des deux détenus en isolement en dépit des démarches entreprises à deux reprises par Israël au cours des douze derniers mois pour qu’il mette un terme à l’isolement cellulaire des Palestiniens qui avaient riposté observant une grève de la faim.

« Sur les 19 prisonniers détenus en isolement avant qu’ils n’entament la grève de la faim, seul Dirar Abu Sisi y est resté » confirme un porte-parole d’Addameer, une association des droits de l’homme et de soutien aux prisonniers Palestiniens. Il ajoute : « Un autre prisonnier, Awad Saidi, a également été placé en isolement, le mois d’avril dernier, pour une période de six mois. »

Le porte-parole a également souligné qu’Israël a, dans presque tous les sens, déjà enfreint l’accord signé le 14 mai qui mettait un terme à la grève de la faim générale entamée par les prisonniers Palestiniens. Il a ajouté : « Au moins trente renouvellements des ordres de détention administrative ainsi que trois nouveaux ordres ont été délivrés depuis le 14 mai. » Ce qui prouve, une fois de plus, que la détention administrative est une pratique par laquelle les prisonniers sont détenus indéfiniment, sans chef d’accusation ni procès.

C’est pourquoi, Dirar ainsi qu’une centaine d’autres détenus ont décidé, le jeudi 13 septembre, de protester contre ces violations en observant une grève de la faim généralisée, une information rapportée par Doaa Abu Amer, porte-parole du Ministère Palestinien des affaires des Détenus et des ex-détenus de Gaza.

La situation des détenus est la dernière chose à laquelle Israël peut penser. Dans le cas d’Abu Sisi, ces violations lui ont valu de nombreux soucis de santé. Veronika affirme : « Dirar a été placé en isolement dès son premier jour de détention. Au départ, il pesait 98 kg. Aujourd’hui, il est descendu jusqu’à 62 kg. Aussi, il est devenu asthmatique à cause de l’humidité. Chaque prisonnier a le droit à une consultation médicale tous les six mois, mais mon époux n’a été autorisé à voir un médecin qu’une seule fois, c’était au mois de mai 2011. Il a des problèmes d’estomac et de reins et sa santé se détériore jour après jour à cause de son isolement cellulaire. »

Il y a lieu de signaler qu’aucun organe officiel des deux pays impliqués dans l’affaire, que ce soit le ministère des affaires étrangères, de la justice, de la sécurité publique ou de l’intérieur, n’ont répondu aux requêtes concernant le cas d’Abu Sisi.

L’épouse de Dirar Abu Sisi conclut : « Il n’a pas encore été jugé ni reconnu coupable. Les services du renseignement israéliens ont à présent évoqué une autre piste ; ils prétendent que Dirar doit être un terroriste islamiste parce qu’il est barbu. Il est donc clair que c’est la seule étiquette qu’ils ont pu lui coller. »

Joe Catron
The Electronic Intifada, 14 septembre 2012.


Joe Catron est un militant US à Gaza et membre de la campagne américaine pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël et militant pour la solidarité internationale. Son blog est joecatron.wordpress.com et sur twitter @jncatron.