écrits politiques

Français    English    Italiano    Español    Deutsch    عربي    русский    Português

Un article de Russ Baker
Tout ce qu’ils nous disent sur la Syrie…est-il faux ?

Vendredi, nous avons lu dans le New York Times et ailleurs qu’un des plus importants soutiens et alliés du régime du président Syrien Bachar al-Assad avait fait défection. L’impression laissée par cette information est que le gouvernement de M. Assad est en voie d’effondrement, ce qui donne de la crédibilité à ceux qui poussent Assad à céder le pouvoir.

11 juillet 2012

Mais ce que les médias ne signalent pas est que le général de brigade Manaf Tlass n’a pas fait directement défection du cercle rapproché d’Assad. Il était déjà tombé en disgrâce au début de la révolte et avait perdu son commandement en mai 2011 – il y a 14 mois. Si vous aviez eu cet élément d’information complémentaire, vous auriez interprété les articles de presse de manière complètement différente.

Quand un élément factuel qui contredit une impression d’ensemble est absent d’un reportage, le reportage en tant est alors presque sans valeur.

Il en va de même des reportages sur des évènements horribles sans vérification factuelle ni enquête de terrain. Vous vous souvenez du massacre de Houla ? Qui l’a perpétré ?

Houla Whoops

Les médias nous ont dit que plus de 100 personnes, dont des femmes et des enfants, ont été sauvagement massacrés à bout portant dans le village de Houla en mai dernier. La tuerie, rapportée dans le monde entier, avait été attribuée à une milice loyale à Assad, les Shabiha. Voici un exemple tiré du site web de la BBC :

« Des survivants du massacre dans la région de Houla en Syrie ont parlé à la BBC de leur stupeur et de leur effroi quand les forces du régime sont entrées dans leurs maisons et ont tué leurs familles…
La plupart des témoins qui se sont exprimés auprès de la BBC ont dit qu’ils pensaient que l’armée et des miliciens shabiha étaient responsables. »

« Nous étions à la maison, les shabiha et les forces de sécurité sont entrés avec des kalashnikovs et des pistolets automatiques, » a déclaré un survivant, Rasha Abdul Razaq.

Par la suite, des informations sorties au compte gouttes ont mis en doute cette version, d’autant que les personnes tuées étaient en majorité elles-mêmes en faveur d’Assad. Le reportage de la BBC ne nous dit pas qui était Rasha Abdul Razaq et n’a donné aucune preuve qu’elle était vraiment présent sur place ni, si elle était sur place, qu’elle avait des éléments quelconques pour affirmer que les tueurs étaient identifiables par leur affiliation. La BBC a cité une autre source qui n’a donné aucun nom. Malgré la faiblesse de ce compte rendu le récit de la BBC a été repris dans le monde entier et a été considéré comme la version définitive des faits.

Vous n’avez donc sans doute pas eu connaissance d’un article de la Frankfurter Allgemeine-Zeitung, un bon vieux et sérieux journal allemand pour lequel j’ai écrit par le passé. Ce journal a publié il y a un mois un article d’un de ses correspondants qui a recueilli des témoignages oculaires de personnes dont il dit qu’elles sont allées dans la région de Houla. Le correspondant, Rainer Hermann dit que selon des témoins oculaires les victimes étaient des opposants à Assad ; et ont affirmé que les partisans du gouvernement n’étaient pas responsables du massacre.

Les sources de Hermann décrivent les évènements de la manière suivante : des rebelles anti-Assad ont attaqué des barrages routiers de l’armée disposés aux abords immédiats de Houla pour protéger les vllageois affiliés en majorité alaouite des attaques des milices sunnites. Les soldats postés aux barrages se sentant en minorité, ont alors appelé du renfort, ce qui a débouché sur une bataille de 90 minutes qui a vu les deux camps subir de lourdes pertes. C’est dans ce laps de temps que des miliciens non identifiés sont entrés dans Houla.

Comme Hermann l’écrivait le 7 juin :

« Selon des témoins oculaires… ceux qui ont été tués étaient presque exclusivement de familles appartenant aux minorités chiites et alaouites de Houla. Plusieurs dizaines de membres d’une même famille ont été massacrés, c’étaient des convertis de l’Islam sunnite à l’islam chiite. Des membres de la famille Shomaliya, des Alaouites, ont aussi été tués tout comme la famille d’un membre sunnite du parlement syrien qui est considéré comme un collaborateur. Juste après le massacre, les auteurs auraient filmé leurs victimes pour les présenter comme des victimes sunnites dans des vidéos postées sur internet » (...) « Leurs constatations contredisent les allégations des rebelles qui ont accusé les miliciens shabiha proches du régime. »

Ainsi, Hermann a apparemment été en mesure de faire quelque chose dont la plupart des journalistes occidentaux ont été incapables : il a trouvé des opposants à Assad qui lui ont fourni des témoignages qui ne servaient pas leurs propres intérêts.

Leurs histoires d’affrontements intercommunautaires est plus logique que celle qui a fait le tour du monde. Mais tout le monde doit néanmoins donner des précisions de sorte que l’on puisse être en mesure de déterminer ce qui est vrai.

Presque tous les récits dans les articles des grands médias ont la caractéristique d’émaner de l’opposition et presque tous imputent tous les maux au régime et presque tous indiquement au passage que les informations « n’ont pu être vérifiées de manière indépendante. »

Parlons Turquie

Bien que le journalisme classique se targue d’être « objectif » et de ne pas prendre parti, je ne me souviens pas avoir beaucoup entendu mentionner le point de vue du gouvernement syrien. On a presque l’impression que le gouvernement syrien ne se manifeste pas. Or il s’avère que ce n’est pas le cas.

Avec le voisin turc de la Syrie de plus en plus en pointe pour que l’OTAN renverse Assad, il est intéressant de voir qu’un journal turc a voulu savoir ce que le dirigeant syrien avait à dire. Dans un entretien accordé au journal turc Cumhuriyet, Bachar al-Assad a adressé une critique extraordinairement intéressante du premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan. Dans la première partie de l’entretien, avant de soulever des questions sur les motivations de l’alliance qui cherche à le renverser, Assad met en avant sa bonne volonté à l’égard du peuple turc :

Assad : …. Aujourd’hui Erdogan verse des larmes hypocrites sur le peuple syrien. Pourquoi n’a-t-il pas pleuré sur tous ceux qui ont été tués dans certains pays du Golfe alors que ce sont des gens innocents, pacifiques et désarmés ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la démocratie dans certains pays du Golfe ?

Le journaliste : Quel pays ?

Assad : Le Qatar, par exemple. Pourquoi n’a-t-il rien fait après l’incident du Mavi Marmara à part gesticuler ? Pourquoi a-t-il défié Israêl puis il a tout soudain accepté de déployer le bouclier antimissile en Turquie ? L’a-t-il déployé pour protéger la Turquie de l’attaque d’un pays hostile ? Les États Unis ont-ils construit ces bases pour leur propre protection dans cette région ? Quel pays de la région est en mesure de menacer l’Amérique ? Aucun.

Pas besoin d’être un admirateur d’Assad pour trouver de l’intérêt à lire ses propos. Entendre, pratiquement pour la première fois, l’autre partie est un choc salutaire – qui me rappelle une règle qu’on nous enseignait à l’école de journalisme mais dont on n’entendait plus parler par la suite, sauf sous ses aspects les plus superficiels. Pour découvrir ce qui se passe vraiment, faites un véritable effort pour parler avec les deux camps.

Rien qu’Hillary, Tout le temps

Alors que les médias occidentaux ignorent purement et simplement les déclarations des dirigeants syriens, ils fonctionnent comme une image inversée de l’agence de presse syrienne officielle, publiant un flot continu de déclarations des dirigeants qui veulent la chute d’Assad. Par exemple, à nouveau dans le New York Times, les propos souvent repris de Mme Clinton sur Tlass.

« Plus tard, lors d’une conférence de presse, Mme Clinton a déclaré que la nouvelle de la défection du général Tlass et d’autres officiers supérieurs était un signal très fort de la fin prochaine du régime Assad. Elle a présenté le général Tlass comme un « allié de longue date et très proche du régime » du président Assad et de son père. »

On a donc une Hillary Clinton qui présente de manière distordue l’évènement Tlass et une presse qui n’est que trop heureuse de la suivre.

Il y a de plus en plus de preuves que nous, Américains, sommes trompés par notre gouvernement sans que les élus du peuple ne pipent le moindre mot dans la presse à ce sujet. C’est une situation qui n’est malheureusement pas une information nouvelle.

Russ Baker,
WhoWhatWhy (USA), 8 juillet 2012.