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Une analyse de Pierre Khalaf
Liban/Syrie : L’Église maronite inquiète des intentions de l’Occident

Le patriarche des chrétiens maronites, Mgr Béchara Raï, a soulevé la question existentielle de l’avenir des chrétiens d’Orient lors de ses entretiens avec les dirigeants français la semaine dernière. Selon des sources bien informées à Paris et à Beyrouth, l’entretien avec Nicolas Sarkozy était tendu. Le chef de l’État français aurait frappé du poing sur la table en affirmant qu’« Assad est fini ».

12 septembre 2011


Mgr Béchara Raï, élu en mars 2011 Patriarche Maronite d’Antioche et de tout l’Orient par le synode des évêques maronites, succédant ainsi au Patriarche Nasrallah Boutros Sfeir, qui avait présenté sa démission au Vatican, le 26 février dernier, indiquant avoir atteint la limite d’âge.

Sans se départir de son calme, le prélat maronite a conseillé au président français d’être plus prudent dans ses politiques au Moyen-Orient, car c’est l’avenir des chrétiens qui est en jeu. Il a exprimé de sérieux doutes sur la pertinence des politiques occidentales actuelles et a averti que l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans ou de gouvernements extrémistes constituait un danger pour les minorités.

L’Église maronite, et avec elle le Vatican, semblent informés que les chrétiens risquent d’être abandonnés à leur sort, et que leur sécurité n’est plus la priorité d’un Occident occupé à redessiner la carte du Moyen-Orient, avec, comme seule préoccupation, les puits de pétrole. Mgr Raï a ainsi appelé les puissances occidentales à « ne pas encourager trop hâtivement » les soulèvements qui se produisent dans le monde arabe.

L’heure n’est plus à l’analyse des raisons du printemps arabe mais de ses conséquences. Nier l’existence d’une forte dimension islamiste est dû soit à l’ignorance et au manque d’informations, soit à un aveuglement provoqué par la haine et la déformation idéologique.

Le précédent irakien prouve que l’Occident ne se soucie guère du sort des chrétiens d’Orient. Rien n’empêche que ce même scénario ne se reproduise en Égypte, en Syrie et au Liban, surtout avec la multiplication des signaux sur le flirt entre les pays occidentaux et les Frères musulmans. La mouvance islamiste, même dans ses tendances les plus radicales, est une composante essentielle des révolutionnaires libyens. Ce sont des médias occidentaux « respectables » qui l’affirment : elle est un acteur principal en Égypte, elle sera probablement la plus importante force politique dans le premier Parlement postrévolutionnaire de Tunisie. En Syrie, les Frères musulmans seraient l’option préférée des États-Unis pour l’après-Assad, à en croire le très sérieux Hudson Institute et bien d’autres think tank et chercheurs.

Aucun homme responsable ne peut accepter que des sociétés entières soient précipitées dans l’inconnu. Car c’est bien l’inconnu que nous promet l’Occident, et c’est ce contre quoi Mgr Béchara Raï s’élève vigoureusement.

En politique, il ne peut y avoir de place à la haine et aux règlements de compte. Seul l’intérêt général doit primer. Certains s’obstinent à écarter les scénarios catastrophes, non pas qu’ils n’y croient pas, mais parce que toute dérive islamiste entraînera un exode des chrétiens. Beaucoup émigreront vers des cieux plus cléments et une petite partie viendra s’installer dans les régions chrétiennes du Liban. Le projet de partition sur des bases communautaires, pour lequel ils ont milité toute une vie, deviendra alors une réalité. Une réalité illusoire et chimérique. Le patriarche maronite a d’ailleurs mis en garde contre « le morcellement des pays arabes en entités confessionnelles », néfaste aux chrétiens et qui sert uniquement les intérêts d’Israël.

New Orient News (Liban)
Rédacteur en chef : Pierre Khalaf (*)
Tendances de l’Orient No 48, 12 septembre 2011.


(*) Chercheur au Centre d’Etudes Stratégiques Arabes et Internationales de Beyrouth.